LIVRES

Andy Warhol. Public Faces, Private Lives. Collages 1975-1986

Des personnalités des médias, du cinéma, de l’art, de la musique, de la mode… revues et corrigées par Andy Warhol. Une galerie de portraits mêlant photographies réhaussées de peinture, dessins coloriés et collages. Un traitement plastique éloquent et une pratique artistique éprouvée.

— Éditeur : Galerie Thaddaeus Ropac, Paris
— Année : 2002
— Format : 29 x 24 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Pages : 123
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-910055-15-9
— Prix : non précisé

Andy Warhol, les portraits-collages
par Vincent Frémont

Andy Warhol s’intéressait à la diversité des effets visuels qu’autorise la couleur.
Il se procura des montagnes de Color Aid et de Color Vue qui sont des papiers traités pour les travaux à l’encre et préalablement colorés à la sérigraphie. Il connaissait ces supports depuis les années cinquante, époque où, artiste commercial, il travaillait pour la publicité. Déchirer ce papier en morceaux et superposer les couleurs le fascinait : c’était en quelque sorte « peindre avec du papier ». Pour Andy, la couleur était essentielle et d’autant plus éloquente qu’elle était dense et riche. Andy n’en faisait du reste pas un usage très orthodoxe : au début des années soixante, il scandalisa le monde de l’art par son emploi des couleurs fluorescentes de la publicité, vibrations chromatiques s’il en est.
Je me rappelle encore ce jour où Andy et moi préparions l’émission Andy Warhol Fifteen Minutes (1985-1987) pour la chaîne MTV. Il ne cessait de me répéter qu’il voulait de la couleur, et encore de la couleur. Il fallait que les colloï;des des spots destinés à éclairer l’atelier soient des plus intenses.

Dans la vie de tous les jours, Andy révélait rarement ses humeurs (colère ou impatience), mais dès qu’il s’agissait de création, il pouvait exploser. Après avoir accueilli des visiteurs ou déjeuné avec des invités dans l’atelier, il se retirait dans une pièce privée au fond du loft, impatient de voir ce que ses assistants lui avaient préparé. Si quelque chose ne lui convenait pas, son visage s’empourprait discrètement. « La peinture n’est pas mélangée correctement » ou « ce n ’est pas la couleur qu’il faut dans ce récipient de plastique » s’exlamait-il d’une voix irritée. Les récipients mentionnés ici étaient généralement les boîtes de plastique dans lesquelles Brownies, le restaurant « bio » et Balduccis, la grande épicerie, livraient leurs produits. Puis la voix d’Andy rompait le silence; « Oh mais… c’est que je vais, tous simplement, faire ces choses-là moi-même ! »

Il se mettait à verser la peinture Liquitex dans les pots de plastique transparents et, sans hâte, avec flegme, remuait le mélange. Andy savait toujours très précisément ce qu’il attendait de ses mixtures. C’était un grand coloriste.
Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, Andy exécuta sur commande des portraits destinés à la reproduction (magazines, couvertures de livres et de disques). Le papier Color Aid devint alors l’élément majeur du collage. Les Å“uvres de petit format Ladies & Gentlemen (Drag Queens), et Mick Jagger appartiennent à deux groupes distincts d’Å“uvres de commande qui comptent en outre peintures, dessins et gravures à tirage limité. Ces deux séries de travaux datent de la même année : 1975. Andy s’inspirait du collage réalisé en papier Color Aid (Å“uvre originale) pour exécuter des sérigraphies qui donnaient l’illusion parfaite du collage. Je regardais Andy déchirer le papier coloré avec dextérité; son travail était rapide et précis. Il mettait en place l’arrière-plan avant de commencer son dessin (Cocteau) ou sa sérigraphie (Diane Vreeland). Il connaissait mieux que personne le rapport du chromatisme et du relief de l’image. Andy avait en outre une connaissance innée de l’échelle : il savait auréoler de beauté picturale le visage de ses sujets (en mêlant collage de papier, dessin et sénigraphie) dans les formats les plus réduits destinés à la couverture ou page de magazine.
Andy exécutait toujours plusieurs variations d’un même portrait. Le directeur artistique avait sous les yeux divers « cas de figure » parmi lesquels choisir.

La plupart des magazines n’avaient pas les moyens de s’offrir l’Å“uvre originale et ne s’achetaient que les droits d’une seule et unique reproduction. Andy gardait les collages originaux pour sa collection personnelle. Andy exécuta sur commande quantité de portraits de personnes qu’il connaissait ou qui lui étaient présentées pour la circonstance, telles les pop stars Michael Jackson, Mick Jagger, John Lennon ou la diva de la mode Diane Vreeland.
Il est intéressant de savoir qu’Andy traitait les commandes de personnes étrangères à son milieu — comme John Gotti, le « parrain » de la mafia — avec le même intérêt que le portrait de ses amis. Sous ses doigts, Ted Turner, le tycoon des médias devint une star de cinéma, la très belle Isabelle Adjani devint plus belle encore et auréolée de glamour hollywoodienne. Ses portraits de Jean Cocteau, modelés par des rangées successives ou superposées de couleurs ont, de profil comme de face, la même intensité.

Les portraits-collages, comme tous les portraits d’Andy Warhol ont réussi à capter l’essence du célébrissime charisme des uns et des autres. Toutes ces icônes sont en conséquence, pour ce vingtième siècle, — qu’Andy Warhol comprenait si bien — des documents précieux et irremplaçables. De dimensions plus réduites que les portraits peints, les collages réussissent aussi brillamment que les premiers à saisir une personnalité et sa physionomie, fut-il ponte des médias, star hollywoodienne, personnage de la vie publique ou drag queen.

(Texte publié avec l’aimable autorisation de la Galerie Thaddaeus Ropac)