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Kevin Rouillard, un artiste en travailleur

PAndré Rouillé

23 juin 2020. Kevin Rouillard présente au Palais de Tokyo trois œuvres monumentales composées de tableaux métalliques jointifs. La plus imposante, Le Grand Mur, est faite de 200 tableaux directement fixés au mur en quatre bandes de 15 mètres de long. Paravent déploie ses 30 tableaux sur dix volets posés au sol en un zigzag de 18 mètres. Quant à Billboard, ses 24 tableaux métalliques composent un seul panneau de 5,50 mètres de large suspendu en l’air par une structure en acier.

Le matériau : la tôle de bidons

Le matériau des tableaux est en réalité de la tôle prélevée sur des bidons récupérés par un geste de récupération-prélèvement cher à Kevin Rouillard qui, dans des œuvres antérieures, collectait des objets rencontrés par hasard pour constituer dans son atelier un panel de formes, une source d’inspiration pour créer.

Mais le matériau des œuvres du Palais de Tokyo est double. Il est prosaïque par sa matière (la tôle de bidons), mais aussi social parce que les bidons ont été récupérés dans le cadre de la participation de Kevin Rouillard, au sein de la diaspora capverdienne de Marseille, à des envois humanitaires par cargos en direction du Cap Vert où les bidons étaient vidés de leur contenu, puis recyclés en une multitude d’objets (poêles, balayettes, portes, etc.).

L’engagement, l’allégorie

Au Cap Vert, « les artisans coupent, martèlent, aplatissent les tôles, d’une manière similaire à la mienne » explique Kevin Rouillard tout en déplorant que ses Å“uvres soient parfois qualifiées de « post-coloniales ». Peut-être en raison d’une cohérence de matériaux, de gestes et de pratiques qui tissent, entre ici et là-bas, un faisceau de significations, de valeurs et d’engagements plus sociaux qu’artistiques, moins formels que matériels et processuels.

La sensibilité des Å“uvres de Kevin Rouillard aux situations sociales et géopolitiques s’exprime sur le mode de l’allégorie qui, tel un palimpseste, ajoute et substitue à une signification une autre signification. C’est le cas du Grand Mur qui a été conçu au Mexique : sa forme, son matériau et son accrochage évoquent le « Mur antimigrants » érigé entre le Texas et le Mexique, que Donald Trump voudrait étendre sur toute la frontière, de l’Atlantique au Pacifique… Quant au matériau extrait des bidons métalliques, il est lui-même une allégorie de  l’engagement de Kevin Rouillard en faveur du peuple capverdien, voire des solidarités avec tous les peuples « post-coloniaux ».

L’artiste-travailleur

Dans ses interviews Kevin Rouillard évoque volontiers le « travail ouvrier », les « choses laborieuses », les matériaux qui obligent à « provoquer des choses qui sont dures », ou le besoin, pour créer, de « comprendre d’où l’on vient » et de « regarder les gens qui galèrent », etc. Tous ces éléments définissent une attitude, celle d’un « artiste-ouvrier » qui envisage sa pratique sur le modèle du « travailleur avec son travail, dans un espace fixe, avec un emploi du temps, un système de travail organisationnel — un système qui aboutit à des Å“uvres d’art ».

Ces œuvres ainsi produites par l’artiste-travailleur Kevin Rouillard ne correspondent à aucune catégorie existante. Ni peintures, ni sculptures, ni bas-reliefs : ce sont des « objets dynamiques » intitulés : Extrait (tôle, choc) Barricade ; Extrait (tôle, choc) Contre-Attaque ; Extrait (tôle, choc) Bouclier poli par le sang des impurs, etc.

La répétition du syntagme « Extrait (tôle, choc) », qui décline les notions de « tôle » et de « choc », inspire une « énergie brutale » et transforme les œuvres en « boucliers-tortues utilisés dans les formations de soldats romains comme une carapace collective ». Serait-ce donc, selon Kevin Rouillard, la mission de l’art, celle de nous protéger collectivement ? Contre quels périls ?

André Rouillé

Voir les œuvres de Kevin Rouillard exposées au Palais de Tokyo.

Les citations sont extraites des entretiens suivants de Kevin Rouillard :
— avec Gaël Charbau. Exposition « Extrait (tôle, choc) Contre-Attaque », Cortex Athletico, 11 mars-15 avril 2017.
— avec Anaëlle Villard, Le Châssis (site internet), sans date.
— avec Frédéric Montfort. Exposition « Extrait (tôle, choc) Barricade », L’assaut de la menuiserie, 24 juin-22 juillet 2017.

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