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André (Art urbain)

André fait partie de la première génération des tagueurs français. Il conserve du modèle américain ses techniques, son énergie et son goût pour le risque. Depuis, l’enfant terrible du graffiti tient boutique au Palais de Tokyo comme on tient salon. Ce stand lui permet de produire et de diffuser les créations de ses amis.

Interview Par Pierre-Évariste Douaire

Paris-art.com ouvre ses colonnes à une longue série d’interviews consacrée aux artistes urbains. La succession des portraits permettra de découvrir les visages et les pratiques de ces artistes qui transforment la ville en galerie à ciel ouvert.

Pierre-Évariste Douaire. Tu fais partie de la première génération des artistes graffiteurs, mais tu as, dans mon esprit, une place à part, en es-tu conscient ?
André. J’ai toujours été dans la rue ou le métro. J’ai toujours fait ça mais j’étais un solitaire. Ma manière de pratiquer le graffiti était différente des autres. Ma signature était simple, elle se résumait à mon prénom alors qu’au même moment les autres cherchaient des pseudos américains. Mon style était très travaillé mais il restait lisible pour le non initié.

“Graffiti is not vandalism but a beautiful crime” ?
Cette formule n’est pas de moi, elle est tirée d’un livre américain sur le graffiti. Même si je faisais pas mal de chose dans le métro ce n’était jamais méchant. Je faisais partie d’un groupe dont j’étais le seul membre, c’était les TVB, les Tout Va Bien. Cette attitude était à l’opposé de la mentalité de l’époque. Je parvenais à mettre de la dérision dans mon travail.

Tu mettais aussi de la poésie, un peu comme les pochoiristes des années 1980.
J’étais un mélange des deux, j’ai pris ce qui me plaisait chez les uns et les autres. J’ai emprunté aux univers que je traversais ce qui me plaisait chez eux. Mais j’appartiens vraiment au monde du graffiti, cette vague qui vient des États-Unis et qui a amené toute cette frénésie, cette façon de vouloir recouvrir la ville. A l’intérieur de ce mouvement j’ai vraiment été le premier à développer un signe à la place d’une signature. J’ai été le premier à faire un dessin à la place d’un nom, avec toujours les mêmes techniques, les mêmes outils que j’utilisais pour faire des tags. C’est pour cela qu’à l’époque, je précise, ils me regardaient tous un peu bizarrement, ils ne comprenaient pas forcément ce que je faisais. Ce changement était considéré comme un sacrilège, maintenant tout le monde est passé à la figure.

A quelle époque est arrivé ce personnage que l’on appel Monsieur A ?
Depuis 1985 je signais seulement André, les premiers Mr. A sont apparus en 1989.

Mais d’autres ont avant toi utilisé des personnages, Keith Haring et Speedy Graphito par exemple ?
Oui, mais ils déclinaient leur personnage sur un pochoir ou avec un pinceau, ils en mettaient un ici, un autre là, ce n’est pas comparable. J’ai décliné Mr. A, un nombre incalculable de fois, j’ai dû en faire depuis le début grosso modo, 500 000, et je ne compte pas mes tags dans le lot. C’est beaucoup. Eux en ont fait peut-être 300, ce n’est pas la même chose.

Le graffiti t’a permis de faire des déclarations d’amour. J’ai commencé à faire ça pour mes petites copines. Je ne savais pas écrire de lettres d’amour, j’étais assez mauvais, au lieu de leur remettre cette lettre dont j’étais incapable d’écrire une seule ligne et bien je leur peignais un graffiti. J’ai commencé avec l’anniversaire de ma mère, j’ai peint en bas de chez elle son prénom, j’ai continué après avec les filles.

Et cela marchait ?
Oui, c’était plutôt pas mal, ça fonctionnait très bien. Le graffiti c’est une baume magique pour l’égo.

Le projet Love graffiti est arrivé quand ?
Le projet a été monté en collaboration avec la galerie Air de Paris. Je me suis mis à la disposition de personnes que je ne connaissais pas, j’étais un écrivain public à qui l’on passait une commande, tout cela se déroulait dans le cadre d’un contrat. La difficulté résidait dans le caractère illégal de la démarche. Pour limiter les problèmes, nous sommes passés par l’intermédaire des amis et par un système d’annonces mis en ligne sur internet. J’ai commencé à peindre tous ces prénoms que l’on me commandait à Paris et aux alentours. Les photos étaient au cœur de l’exposition, elles étaient la trace de l’acte. Le prénom peint était important pour le commanditaire, mais ce qu’on lui remettait au final c’était la photo du mur peint et un certificat d’authenticité. Pour l’anecdote ce certificat était calqué sur les convocations de police que je recevais pour me rendre au tribunal. On peut y lire le titre du délit et sa localisation précise. J’ai repris cette façon de procéder.

Avec Love graffiti tu inverses les codes de la rue.
Un tagueur c’est une personne qui se cache derrière un surnom plus où moins compliqué. A part le lettrage, tu ne peux pas tellement tirer quelque chose de cette signature, elle ressemble assez peu au monde dans lequel tu vis. Avec Love graffiti le passant pouvait beaucoup plus se sentir concerné grâce à l’utilisation de prénoms courant, ce n’était plus des pseudos mais des Claire et des Pauline. Je voulais que les gens s’approprient cette démarche, qu’ils se demandent ce qui se passait, je voulais qu’ils se sentent concernés, qu’ils se demandent si c’était la Pauline qui habite à côté de chez eux. D’ailleurs cela a produit ce genre d’histoires, les gens se sont posés des questions, cela a entraîné des confusions, des quiproquos, le quartier voulait savoir qui était qui.

Intervenir dans la rue c’est écrire des histoires ? Le graffiti c’est en parti ça. Quand tu poses une image dans la rue, tu te demandes ce que vont en faire les gens : vont-ils se l’approprier ? que vont-ils imaginer ?

C’est très généreux. Mais en premier, quand tu fais du graffiti, la première chose qui t’importe avant tout c’est l’action. Quand je sors peindre, c’est ça qui me nourrit. L’action c’est la somme de pleins de choses comme de sortir la nuit, d’élaborer un parcours, d’escalader des murs, c’est également l’adrénaline et la tension qui découle de tout ça. Après le résultat ne t’appartient plus, il est ce qu’en font les gens.

Ta boutique au Palais de Tokyo ressemble au Pop Shop de Keith Haring. A l’inverse du Pop Shop de Keith Haring, le Blackblock n’est pas tourné vers ma seule production. Il y a quelques trucs de moi dans le magasin, mais ce n’est pas moi qui m’en occupe. La boutique a été conçue comme une plateforme de production mise à la disposition d’autres artistes, que ce soit des amis ou des collaborateurs. Tout l’argent gagné est ensuite réinjecté dans des projets d’œuvres.

Toujours cette idée sous-jacente du don.
Non, l’idée de faire des choses tout simplement. Cette boutique c’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour faire des choses par moi-même, de ne plus attendre l’aide des autres. Pour montrer et produire je dépends beaucoup moins d’une tierce personne.

Ta boutique est une œuvre d’art ou un outil ?
C’est un outil d’aide à la création. Ce qui est présenté dans la boutique n’est pas étranger à ce que je suis et à ce que je fais, les gens de ma génération se reconnaissent dans son concept. Pour prendre un exemple parlant, je dirais qu’une tee-shirt d’artiste présentée dans la boutique a autant de valeur qu’une lithographie. Le Blackblock est un support formidable pour faire voir et connaître la production des artistes, ce rôle est encore plus important que la simple diffusion marchande.

Tu avais créé en 1997 une marque de vêtements qui s’appelait « Rare ».
Oui c’était un jeu de mot avec l’anglais rare qui veut dire saignant, je l’ai arrêté assez rapidement parce que cela me prenait trop de temps. Je devais plus régler des problèmes de tissus et de fabrication que m’occuper de la partie créative. Maintenant je collabore avec des gens qui s’occupe de la production, cela me permet de me concentrer sur la partie création, C’est plus intéressant.

Le Palais de Tokyo attire les critiques, il est pour certains le simulacre d’une friche industrielle, une sorte de squat tendance, il récupère la mode de la rue sans en avoir l’état d’esprit.
En ouvrant ses portes, le Palais de Tokyo voulait avoir un restaurant et une boutique qui ne soient pas ordinaires. J’ai répondu à l’appel d’offre et voilà comment je me retrouve à louer un espace ici. Je suis très heureux mais je ne suis pas sponsorisé par l’institution. Dans les critiques il peut y avoir du vrai mais globalement je trouve que l’endroit est un des plus intéressant de Paris, je n’ai jamais autant vu d’artistes et de rencontres.

Y-a-t-il une synergie entre le Palais de Tokyo et ta boutique ?
Tout en restant très libre, je soumets chacun de nos projets d’éditions et de productions à la direction du Palais. Cela a permis de réaliser de belles collaborations. Nous avons un mur attenant la boutique qui a été transformé en Wall Painting. Tous les deux mois des artistes interviennent dessus et nous, de notre côté, nous produisons un multiple qui peut-être une affiche. Des artistes, comme Jonone, qui n’appartiennent pas au circuit de l’art contemporain ont participé à ce projet dans lequel le Palais nous aide.

Le Land Art m’intéresse au même titre que l’art de rue, car dans les deux cas la question du passage entre l’intérieur et l’extérieur y est centrale, te sens-tu proche de cette filiation.

Un peu en marge de ce courant, quelqu’un comme Gordon Matta-Clark, qui a plus travaillé sur la ville, a été une référence pour moi. J’ai toujours connu son travail car j’étais très copain avec son frère, c’est comme ça que j’ai découvert son premier catalogue introuvable en France. Le Blackblock prend exemple sur le restaurant qu’il avait monté en 1971, à New York, avec ses copains artistes. Quand Christo faisait à manger au Food, le nom du restaurant, il présentait la nourriture dans des petits plats emballés. Il y avait plein de choses comme ça, le lieu était presque une œuvre en soi. Son fonctionnement se voulait très utopique, les gens payaient ce qu’ils pouvaient. Il y avait aussi des listes qui comptabilisaient les objets cassés, elles dressaient le nombre de cendriers cassés, de verres cassés… un peu à la Duchamp.

Matta-Clark t’as beaucoup influencé.
Son restaurant m’a influencé pour faire la boutique du Palais de Tokyo. En 1996 j’ai monté ma première boutique qui s’appelait la Mercerie d’André, rue Guénégaud. Il y avait déjà l’idée de concevoir la boutique, presque, comme une œuvre en soi. C’est un des premiers à avoir, de façon spectaculaire, travaillé sur l’extérieur et sur l’urbain. Il a été un des premiers a exposer des graffitis à la fin des années soixante, au tout début des années soixante-dix. Il prenait des morceaux de camions tagués qu’il présentait aux gens.

Le critique du Nouveau réalisme, Pierre Restany, a été le précurseur en France de l’appropriation de la rue par les artistes, il n’est pas étonnant qu’il se soit retrouvé à la direction du Palais de Tokyo avec Jérome Sans et Nicolas Bourriaud, il y a comme une filiation.
Oui, c’est une sorte de filiation.
Il a défendu des artistes comme Raymond Hains.

Raymond Hains fait partie de mes artistes favoris.

Cet été, tu as participé à ses côtés à l’initiative de l’afficheur Viacom. Vingt artistes ont exposer une pièce sur les 300 panneaux publicitaires 400 x 300 mis à leur disposition.
J’ai trouvé cette initiative géniale. J’ai demandé à Viacom de mettre mes affiches près de chez moi. Ma copine a été surprise de découvrir son nom sur tous les panneaux d’affichage du quartier. Cette photo a en plus une histoire, elle a été faite à Tokyo. J’avais peint de nuit le nom de ma copine sur un panneau publicitaire qui se trouvait en face de notre appartement. Elle venait me rejoindre et débarquait de l’aéroport, c’était une façon de lui souhaiter la bienvenue au Japon. L’image fonctionne comme une mise en abîme. Après je pense que les artistes qui ont participé à cette manifestation sont assez loin de la mentalité du patron de Viacom, mais en tout cas j’ai trouvé l’initiative sympa.

Je ne comprends pas les tee-shirt et les sacs de Kruger, que tu vends d’ailleurs dans ta boutique, je trouve que sa démarche protestataire est annulée par le procédé commercial.
C’est dans la culture américaine, ils n’ont pas de complexe à produire. Mais je pense qu’ils voient le tee-shirt et le sac comme des moyens de diffusion, ils peuvent toucher d’autres gens. Je suis pas aussi catégorique que toi, et je pense que les artistes ne s’occupent pas assez de ces questions là.

Tu as exposé une photo pour Viacom, quel est ton rapport avec ce médium ?
Je l’adore mais comme raconteuse d’histoires. Pour le graffiti c’est la seule façon d’avoir une trace. Les photos de graffiti sont des œuvres en soi, ce sont des documents. J’adore les photos, je les collectionne. C’est des moments, des traces, cela peut devenir des œuvres, souvent c’est la seule chose qui reste, un peu comme les photos de performance.

Ce sont des documents ou des œuvres ?
Ça dépend des cas.

Oui mais pour toi, dans ta pratique ? Pour Love graffiti c’était une œuvre.

Parce que elle avait été intégrée dès le départ.
Oui et puis parce que ce n’est pas forcément moi qui fais la photo. Pour cette expo chez Air de Paris, je voulais des photos banales comme celles qu’avaient pu prendre les policiers quand ils me convoquaient. Malheureusement les photos de la police sont détruites régulièrement, je n’ai jamais pu récupérer ces clichés. Dans cette série j’avais besoin d’identifier le lieux, le prénom peint et la couleur utilisée. Je ne voulais pas de photos racontant une histoire, je ne voulais pas que des gens passent devant l’objectif. Je ne me considère pas du tout comme un photographe.

Dans le livre qui retrace cette aventure, tu as fait appel à quatre photographes.
Oui, un peu plus parce qu’il y a moi, ma copine et d’autres. Au début les photos étaient confiées à un ami qui n’était pas artiste. Le matin je lui laissais un message et lui partait photographier ce que j’avais peint la nuit. Depuis son décès d’autres personne interviennent.

Peindre dans la rue c’est se l’approprier ? J’adore me balader dans la rue, j’aime la nuit, la ville. S’approprier la ville c’est jouer au Petit Poucet. Marcher devant ses graffitis c’est se sentir chez soi, tu te sens bien. L’espace ainsi approprié devient moins anonyme.

La ville peut être pesante ? La ville t’impose des règles, sans parler de la publicité, que moi j’aime bien, tu n’as qu’à penser aux règles de circulation, aux horaires, ce sont des choses qui peuvent étouffer.

C’est pour cela que tu as détourner des panneaux de signalisation en 1995 ?
A l’époque cela ne se faisait pas.

Depuis on peut voir les enseignes de Scurty exposées en extérieur dans le cadre de la Nuit blanche de l’édition 2004.
Nous avons été les premiers à produire un multiple avec lui. Frank Scurty c’est quelqu’un que j’aime beaucoup.

Cette série d’interviews est parti du constat qu’il y avait de plus en plus de stickers et d’affiches. La génération post-graffiti était née, la répression très importante en l’an 2000 a obligé ces artistes à changer de pratique, à évoluer.
L’ancien maire de Paris avait déclaré la guerre aux graffitis, il en avait fait son cheval de bataille. J’avais fait deux choses marrantes pour l’occasion, la première c’est que je taguais Tibéri partout mais surtout dans son quartier, le cinquième arrondissement, je pense qu’il a du le voir, je sais pas si ça l’a fait rire. La deuxième, c’est que je collais des affiches de Monsieur A, comme si c’était une campagne électorale. A la même période j’avais lancé le site internet et plein de gens m’ont fait savoir qu’ils avaient voté Monsieur A pour l’élection municipale.

Tu utilise rarement l’affiche ?
J’ai déjà photocopié des photos de personnes à taille réelle que je collais dans la rue. Elles étaient découpées et donnaient un sentiment de trompe l’œil. Une autre fois j’ai collé la photo que j’avais faite de ma bibliothèque. J’ai aussi fait une collaboration avec un ami à moi, Melvil Poupaud, nous avons collé des photos de lui le représentant dans plein de situations différentes. J’ai employé la même technique avec des mannequins, photographiés dans des défilés de mode, l’effet était saisissant, les gens dans la rue sursautaient en découvrant ces Pin-up grandeur nature.

As-tu été sensible à la vague d’affiches qui a déferlé vers l’an 2000 ?
J’ai été sensible, je pense qu’il y a dedans plein de choses nouvelles mais aussi un effet de mode et de copie. Au niveau de l’affiche et du sticker la France n’a pas été novatrice dans ce domaine, contrairement aux américains et aux pays nordiques. Je pense que c’était une réponse à l’effacement systématique que subissait n’importe quelle tag dans la rue. Deuxièmement avec une affiche, juridiquement tu ne risques rien, on peut te demander à la rigueur de la retirer mais c’est tout. Avec un graffiti tu peux aller en prison, sans parler de l’amende. C’est une réponse mais c’est surtout une façon de faire quelque chose dans la rue de moins risqué. La part du risque, le fait de pouvoir aller en prison fait partie intégrante du graffiti.

Tu continue à en prendre ?
Uniquement à l’étranger.

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www.monsieura.com

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