ART | CRITIQUE

Anatol Echo

PFrançois Salmeron
@17 Mai 2013

«Anatol Echo» se développe autour de la figure théâtrale d’Anatol, un dandy inconstant. L’enjeu de l’exposition consiste alors à sonder sa personnalité complexe, en mêlant notamment figuration et abstraction dans des portraits fascinants, comme pour mieux rendre compte de l’ambivalence de toute identité et de tout caractère.

Imaginé par le dramaturge viennois Arthur Schnitzler en 1892 pour sa première pièce de théâtre, le personnage d’Anatol se définit lui-même comme un dandy mélancolique et inconstant. Séducteur invétéré, ses aventures amoureuses se développent en huit saynètes, où il rencontre autant de jeunes femmes provenant de divers horizons sociaux, dont il s’éprend tour-à-tour et tente de conquérir.
Ce personnage complexe et indécis sert donc de modèle à la nouvelle exposition de Matthias Bitzer, trouvant une nouvelle fois ses inspirations dans la littérature, après avoir précédemment travaillé sur la figure de l’écrivain et poète portugais Fernando Pessoa.

«Anatol Echo» tente donc de cerner les contours de ce personnage changeant, d’esquisser le tracé de sa personnalité et de son âme, notamment à travers une série de portraits fascinants mêlant style figuratif et style abstrait. Par exemple, le triptyque Inventing Anatol présente un portrait noir et blanc exécuté au crayon, dont les traits sont mêlés à des figures abstraites circulaires. Aussi, des sortes de ronds de fumée blancs sur fond noir, viennent apporter un contour nébuleux et ectoplasmique à la figure d’Anatol, tandis que les collages foisonnants et multicolores complétant ce triptyque, donnent à Anatol un aspect définitivement fragmentaire et éclaté, comme si son âme était tout aussi composite que l’habit d’Arlequin. A l’arrivée, l’image figurative éclate en divers fragments kaléidoscopiques abstraits et colorés.

Anatol est ainsi présenté sous des traits changeants, perturbés, désagrégés, sa personne ne pouvant se transcrire que sous une forme diffuse ou éclatée. Le grand portrait Anatol vient confirmer la complexité du caractère du personnage et de sa représentation: on a alors affaire à un portrait classique noir et blanc de trois-quarts, où des figures abstraites colorées viennent s’incruster non seulement sur le fond neutre de la toile, mais sur le visage même de notre héros. L’apparition incongrue de ces formes abstraites apparait comme le symbole des perturbations inattendues jaillissant dans le cours des vies, altérant nos caractères, fragmentant nos egos. Notre personnalité n’est jamais un tout constitué et donné une fois pour toute, il subit des modifications au cours du temps et ne se laisse jamais complètement cerner.

Des œuvres bien plus abstraites viennent appuyer le propos d’«Anatol Echo». The Appearence of the Giants se présente comme un enchevêtrement alambiqué de roues, de cercles et de figures coniques, alors qu’Inmost North présente un grand cerceau multicolore vissé au sol. Ces cercles et cerceau nous renvoient ainsi à l’idée des cycles des vies, des temps qui changent, des amours qui s’épuisent et se changent en indifférence.
Tout est en mouvement. Aussi, l’installation The Second of a Mountain se lit soit comme une métaphore du temps, avec ce grand tas de sable qui nous fait penser à un sablier, soit comme l’image de la désagrégation des choses, de leur décomposition, jusqu’à devenir grain de sable ou de poussière.

Les néons You reflect everything and Your reflection is in everything apparait comme une sentence poétique et philosophique livrant une des clés d’Anatol: «Vous reflétez tout et Votre reflet est en tout». Nos personnalités seraient définitivement plurielles, ouvertes aux influences, aux rencontres et aux incidents du monde, véritables miroirs du monde, de même que notre simple aura ou notre présence créerait un impact sur ce qui nous entoure. Notre identité n’est finalement qu’un réseau en perpétuelle réorganisation, et non une entité fixe et stable, immuable au cours du temps.

Car aucun indice, aucune trace, aussi nombreux et précis soient-ils, ne permettent de restituer l’entité de chacun. En ce sens, Matthias Bitzer recouvre un pan entier de mur avec des collages, des dessins, des photos, des notes et des textes, comme pour illustrer une énième tentative désespérée – et manquée – visant à reconstituer la personnalité d’Anatol, à travers un ensemble de signes, d’empreintes et de témoignages.

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