ART | CRITIQUE

Amnésie

PAnne Malherbe
@12 Jan 2008

Pierre Ardouvin n’est pas de la génération de ceux qui ont joué avec l’"arbre magique" Fisherprice, maison miniature nichée sous les frondaisons d’un arbre en plastique. Pourtant on s’y croirait presque, avec son exposition-installation présentée Chez Valentin.

Le visiteur est accueilli par l’appel métallique d’un oiseau, émis par un haut-parleur peu discret. Un clapotis s’élève du ruisseau qui court le long d’une suite de bacs en plastique noir. Le kitch d’un retour artificiel à la nature, façon Jardiland, se manifeste également avec une collection de pots de fleurs factices. Ce sont d’ailleurs ces pots qui, alignés, dessinent le titre de l’exposition, « Amnésie ».

De fait, l’amnésie semble avoir partout pénétré. Dans le cours d’eau, en circuit fermé, dépourvu de source; dans le soleil en verre acrylique, forme semi-circulaire orangée à souhait, oublieux du fait que sa fonction première n’est pas seulement d’émettre une lumière décorative; dans les aquarelles accrochées au mur qui présentent notamment une maisonnette aveugle et un corps allongé dont seuls les pieds et la tête n’ont pas été effacés.

De quoi est-on amnésique? L’exposition peut être prise comme une fable écologique qui conte notre rupture avec la nature. L’une des aquarelles, d’ailleurs, montre une flaque où flotte l’image d’une tête de mort, telle une vilaine tache d’essence.
Mais plutôt qu’une incitation à sauver la Terre, l’installation révèle notre désorientation en ce monde, notre difficulté à y prendre place sereinement et à lui trouver un sens, dans la mesure où tout retour à la nature n’est paradoxalement possible que sur le mode de l’artifice. L’innocence est interdite, sinon par l’intermédiaire du kitch ou de l’ironie.

On est frappé par l’apparence lacunaire de l’installation: d’un objet à l’autre, le lien thématique qui s’esquisse n’est jamais totalement explicite. Ruisseau, fleurs et soleil ne forment pas un paysage unifié, mais plutôt un lieu dont les tenants et aboutissants sont à inventer. L’homme allongé, sans tronc ni jambe, lévite, sans port d’attache. La rêverie, qui n’est pas étrangère à l’atmosphère raréfiée des aquarelles, est encore notre dernier recours, ainsi que l’acceptation résignée d’une signification à jamais ouverte.

AUTRES EVENEMENTS ART