PHOTO | CRITIQUE

American Beauty

PFrançois Salmeron
@25 Nov 2013

«American Beauty» dévoile une série de photographies intimes et émouvantes où Eugene Von Bruenchenhein met en scène son épouse et inspiratrice Kate, qu’il renomme d’ailleurs Marie. Offrant tout un panel de poses, d’expressions et de mises en scène souvent érotiques, les deux amoureux rejouent indéfiniment leur mutuelle séduction.

Si Eugene Von Bruenchenhein travailla toute sa vie durant comme boulanger ou épicier, il s’adonnait également à la peinture, à la sculpture ou à la photographie de manière compulsive, voire monomaniaque, sitôt sa journée de labeur terminée. Ainsi, lui qui soutenait venir d’un «autre monde», s’affirme comme un artiste secret qui esquisse les traits d’un nouvel univers, le sien propre et celui de son épouse qu’il rebaptise Marie. En effet, la série «American Beauty» nous présente un univers intime minutieusement confectionné par le couple Von Bruenchenhein, où l’un tient la caméra, et ou l’autre s’adonne à d’innombrables poses, tantôt ingénues, tantôt suggestives ou carrément aguicheuses.

Car les portraits qu’Eugene Von Bruenchenhein réalise sont avant tout une manière de sublimer son épouse, de lui rendre un perpétuel et vibrant hommage, de célébrer sa figure et l’admiration qu’elle lui inspire. Ces photographies relatent donc une passion, mieux, une adoration, une vénération, un culte.

Ces photographies répondent alors à un rituel entre l’artiste et son modèle, où tous deux façonnent la décoration de leur maison, créant un véritable huis-clos. Les rideaux sont d’ailleurs systématiquement tirés, comme si les deux amoureux se coupaient définitivement du monde, afin de laisser libre cours à leurs fantasmes, à l’abri des regards puritains de la société américaine des années 40.

Les photos d’Eugene Von Bruenchenhein bousculent donc les codes établis de la bienséance. Marie est souvent nue, montrant son corps, ses courbes, ses hanches, ses seins, et parfois même son sexe ou ses fesses. Elle se prête volontiers au jeu de la séduction en fixant intensément la caméra de son regard langoureux. Elle défie son spectateur en levant les jambes, laissant apparaître ses bas. Elle git débraillée sur un canapé, chemisier entrouvert. Assise sur une chaise, elle laisse nonchalamment basculer sa tête sur le côté.

En ce sens, Eugene Von Bruenchenhein exalte les pouvoirs de séduction de sa bien-aimée, et la pare d’accessoires. Il lui confectionne une couronne, comme si elle était une miss, reine d’un concours de beauté. Des colliers de perles viennent habiller sa poitrine lorsqu’elle pose nue. Les boucles de sa chevelure balaient délicatement ses épaules, alors que sa bouche porte souvent du rouge à lèvres. Tous ses attributs soulignent ainsi la volonté d’Eugene Von Bruenchenhein de fétichiser le corps de Marie.
Dans ce huis-clos, les amoureux renouvellent au quotidien des effets de séduction, comme s’ils souhaitaient chaque jour rafraichir leur amour, et ne pas sombrer dans une routine où la flamme peu à peu s’éteint. Car jouer la femme fatale ou la pin-up ne sont que quelques unes des facettes que Marie peut adopter. Elle sait aussi se rendre tendre et ingénue, détournant son regard de l’objectif. Elle joue alors sur le registre de l’angélisme, de la pureté.

Eugene Von Bruenchenhein, quant à lui, n’en perd pas une miette. Metteur en scène, décorateur, éclairagiste et photographe, il est également le seul spectateur censé avoir accès à ces tirages qu’il effectue lui-même artisanalement, ou qu’il colorise à la main. Au départ, les photos de «American Beauty» étaient effectivement destinées à un usage strictement privé. Ce n’est qu’avec le décès d’Eugene dans les années 1980 que Marie, alors sans ressource, pensa à montrer le fond photographique du couple et à le vendre pour subvenir à ses besoins, et offrir par là même aux regards extérieurs les jeux fantasmés des deux éternels amants.

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