ART | CRITIQUE

Amelie Von Wulffen

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Comment habiter le présent quand, à l’instar d’Amelie Von Wulffen, on hérite de l’histoire allemande? Réappropriation de l’histoire familiale pour en informer le présent, les œuvres ont la fragilité du papier, la précarité du collage, l’incertitude du devenir.

Un délicieux petit film d’animation, datant des années quatre-vingt-dix, éclaire, sur le fond et la manière, l’œuvre peinte accrochée aux cimaises de l’Espace 315. Son titre, Pedigree, est le nom de la marque d’alimentation pour chiens, dont l’artiste a utilisé les emballages pour fabriquer le décor.

Le clin d’œil à la pureté de la race n’est bien sûr pas anodin. Le scénario en est tout simple : un soir, des amants se retrouvent pour faire l’amour dans un bosquet de la ville. Le dialogue en italien, où il est question de justice et de socialisme, les plans serrés sur les corps de pâte à modeler, la chevelure noire de l’héroïne façon Anna Magnani, tout cela évoque le néoréalisme italien. Mais le dialogue —produit par collage— n’a ni queue ni tête. L’amant, livreur de Pedigree, repart au volant de son camion, laissant la femme seule lire Le Capital sur son balcon. La roue peut tourner. La révolution n’est plus pour demain.

Comment dès lors habiter le présent? Surtout quand, à l’instar d’Amelie Von Wulffen, on hérite de l’histoire allemande, on a grandi dans le miracle économique des années soixante, en même temps que dans l’effondrement des dernières utopies.

Dans ses grands tableaux de papier, l’artiste mêle, par photographies interposées, des autoportraits joués et des objets ayant appartenus à ses grands-parents. Une toute jeune femme s’avance, souple et masquée, dans les vestiges d’un monde bourgeois cossu, flottant dans un espace qui s’étend par greffes successives. Les photos agrafées sur le papier sont recouvertes, et débordées, d’une peinture acrylique fluide, vivement barbouillée. Parfois jusqu’en dehors du cadre, suivant alors un motif de papier peint qui ancre l’œuvre dans l’ici et maintenant de l’exposition.

Ces espaces aux multiples points de fuite, miraculeusement unifiés, semblent hantés par ces apparitions sans message. Quelques indices plus explicites peuvent par endroits lester le tableau. Les images se précipitent par le fond, et en laissent l’espace supérieur exsangue. Ainsi dans un Sans titre de 2004, des photos de famille posées sur un meuble, cernées d’un rouge incandescent. Parmi elles, celle d’un jeune officier nazi.

Réappropriation de l’histoire familiale pour en informer le présent, les œuvres ont la fragilité du papier, la précarité du collage, l’incertitude du devenir.

Amelie Von Wulffen
— Sans titre, 2003. 65,5 x 69 cm.
— Sans titre, 2004. 100 x 224 cm.
— Sans titre, 2003. 120 x 180 cm.
— Sans titre, 2004. 202 x 179 cm.
— Sans titre, 2003. 120 x 210 cm.
— Sans titre, 2004. 149 x 157 cm.
— Sans titre, 2003. 150,5 x 168,5 cm.
— Sans titre, 2005. 149 x 190 cm.
— Sans titre, 2004. 150 x 208 cm.
— Sans titre, 2004. 150 x 182 cm.
— Sans titre, 2003. 150 x 230 cm.
— Sans titre, 2004. 60 x 40 cm.
— Sans titre, 2004. 60 x 40 cm.
— Sans titre, 2004. 60 x 40 cm.
— Sans titre, 2004. 60 x 40 cm.
— Sans titre, 2005. 213 x 175 cm.
— Sans titre, 2003. 120 x 180 cm.
— Sans titre, 2004. 30 x 40 cm.
— Sans titre, 2005. 196 x 276 cm.
— Pedigree, 1996-1999. Super 8. DVD. 5 min.

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