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Amar Kanwar

Amar Kanwar, artiste indien de New Delhi, expose pour la première fois chez Marian Goodman. Dans l’obscurité du sous-sol, The Lightning Testimonies, la pièce maîtresse de l’exposition : huit projections simultanées, réparties sur les quatre murs de la pièce, commencent par un même gros plan de fleurs rouge sang. Puis insensiblement le dispositif se fragmente. Les images se différencient : des plans fixes sur l’agitation nocturne urbaine, un travelling vertical sur une cour noyée de pluie tropicale, des photographies d’une nature  généreuse et luxuriante, des films d’archives en noir et blanc, des femmes qui marchent sur une route de campagne, taches vives sur le vert intense de la forêt, une autre qui tisse un fil vermillon.

Très vite, le fil rouge de l’œuvre se révèle être le corps, martyrisé et résistant, des femmes prises dans le tourbillon des convulsions qui secouent depuis les indépendances le sous-continent indien. Les faits, simples dans leur brutalité inouïe – l’arrivée de militaires dans un village, qui massacrent les hommes, puis violent les femmes, qui sont laissées pour mortes, par exemple -, les époques, les territoires, du Bangladesh au Cachemire, s’entrecroisent.
La métaphore du métier à tisser vaut aussi pour les sons, forêt, trafic routier, activités domestiques, musique, voix – une représentation théâtrale, ou une manifestation étonnante de femmes devant un poste militaire indien -, se mêlent dans un jeu de superpositions et de retraits. Les couleurs, bleu nuit, rose tendre, vert d’eau, tissent un autre réseau qui, sans pathos, sans voyeurisme aucun, renvoie à ces tragédies, dans lesquelles les femmes font figure tout autant de victimes que de rempart à la barbarie.

Malgré un processus narratif qui s’adresse directement au spectateur, en l’invitant à s’identifier aux victimes de ces violences, et bien que son propre corps soit au centre du dispositif, sa position reste extérieure aux enjeux, tant humains, politiques qu’esthétiques. Il est en lisière, en empathie, désolé ou révolté, mais étranger.

Cet effet de distanciation froide évoque une artiste de la galerie. Comme Eija-Lisa Ahtila, Amar Kanwar use de la vidéo pour éclater le point de vue unique du dispositif cinématographique, élargir le champ dans une profondeur spatio-temporelle, tisser les narrations et les faits. Son dispositif est plus modeste, que celui de l’artiste finlandaise, mais cette ambition de profondeur achoppe également sur la superficialité nécessaire au tissage.
Il manque la durée, sa profondeur, le transport qu’elle implique. Elle est ici fragmentée, réduite au temps de la maille, au point de trame. C’est peut-être la raison pour laquelle les écrans s’éteignent un à un pour ne retenir qu’un seul drame, rejoué sur une scène improvisée et improbable, en pleine jungle : des femmes nues, un seul pagne blanc pour protection, affrontent des hommes en treillis, bottés et armés, qui en sont littéralement interdits, symboliquement mis hors jeu.

Amar Kanwar
— The Lightning Testimonies, 2007. Installation de 8 vidéo projections synchronisées. Couleur et b/w, son. 32 min 31 s, en boucle.
— Henningsvaer, 2006. Projection vidéo en boucle. 15 min.
— The Bodhi Tree, 2005. Projection vidéo en boucle. 7 min 4 s.
— The Smile, 2007. Projection vidéo en boucle. 31 s.Â