PHOTO | CRITIQUE

Allan Sekula

PEmmanuel Posnic
@21 Mar 2008

«Travailler plus pour gagner plus». La formule n’est pas que française, elle traverse les continents. Elle gagne les esprits. Elle cristallise tous les quiproquos de la donne économique de ce début de siècle. Elle est aussi pour Allan Sekula l’image porte-étendard de l’exposition.

Le regard du soudeur mexicain sur le chantier naval d’Ensenada en dit long sur l’incongruité du slogan «Travailler plus pour gagner plus». Sur son obscénité et son non-sens. Il existe trois versions de cette photographie. La première porte les inscriptions «Alle Menschen werden Schwestern» (Tous les hommes deviendront sœurs) et la seconde «Los ricos destruyen el planeta» (Les riches détruisent la planète). Seule la «version française» est exposée ici, mais au regard des deux autres, elle situe le propos d’Allan  Sekula dans une interrogation des conditions de travail à l’échelle planétaire.

C’est même chez lui un leitmotiv persistant qui, avec les années, ne s’est jamais éteint. Sa critique se situe à l’orée du discours militant et du reportage au long cours lorsque le commentaire disparaît derrière l’image. Quant aux lieux d’interventions, Allan Sekula cible les zones de frottement, là où le capitalisme expose sa face la plus sombre et joue sans masque. Le Mexique donc, mais aussi le Laos et la Méditerranée.

Des territoires émergents et d’autres qui s’éteignent. Des travailleurs (Goldsmiths) et des naufrages (Shipwreck). Une vie qui s’écoule (Whisper) et une Histoire qui ne s’efface pas (B-52 Crater). Le travail d’Allan Sekula articule souvent ce type de bipolarités. Bipolarités tant contextuelles que formelles : les photographies fonctionnent en diptyque, voire même en triptyque. Allan Sekula cadre les scènes, construit immanquablement des séquences, des filtres qui creusent une distance avec le sujet.

Des bipolarités et la permanence de quelques figures. Le travailleur, bien entendu, qui parcourt en silence l’ensemble des «tableaux» : dans la concentration de son ouvrage, ou à travers une parole qui échappe au spectateur et à l’artiste lui-même (Whisper). Mais aussi l’eau, ce bien commun et universel, qu’Allan Sekula aborde par le biais du chantier naval du soudeur mexicain, du cargo échoué près d’Istanbul (Shipwreck).
L’eau encore comme force motrice de l’artisanat laotien (A Short Film for Laos).
Cette colonne vertébrale donne une unité à son travail, une force à sa critique. Et plus que cela: elle livre des visages, sonde des humanités, résistantes ou résignées.

Allan Sekula
— Whisper, série Laos Studies, 2005-2006. Tirage chromogénique contrecollé sur aluminium, diptyque. 73 x 182,5 cm
— Goldsmiths, série Shipwreck and Workers, 2005-2006. Tirage chromogénique contrecollé sur aluminium, diptyque. 73 x 182,5 cm
— Museum Guards, série Shipwreck and Workers, 1999-2008. Tirage chromogénique contrecollé sur aluminium. 125 x 189,5 cm
— Shipwreck, Istanbul, série Shipwreck and Workers, 1999-2007. Tirage chromogénique contrecollé sur aluminium, diptyque. 90,5 x 125 cm
— Travailler plus pour gagner plus, depuis la série Dead Letter Office, 1997-2008. Tirage chromogénique contrecollé sur aluminium.
— A Short Film For Laos, 2006. Video. 45 mn.

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