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All Cut Up

PPascal Graveline
@12 Jan 2008

C’est avec l’exposition «All Cut Up» de Candice Breitz que le Palais de Tokyo termine son tour d’horizon du continent africain. Par un travail de l’image radical, l’artiste met en scène des personnages médiatiques dans des séquences vidéo aux allures chaotiques. Les figures télévisuelles et cinématographiques deviennent des matériaux, supports d’une interprétation critique de la culture masse.

La visite semble débuter par une intrusion. Intimité recomposée: les étagères vides et les lampes aux lumières chaudes de Diorama entourent un salon déserté par toute présence humaine. Seuls, neuf téléviseurs disséminés dans la pièce diffusent les portraits des protagonistes principaux de la série Dallas. La salle entièrement close, à l’exception d’une fenêtre donnant sur le reste de la galerie, attend notre venue.

On déambule dans cet espace en s’attardant quelques minutes devant chaque poste de télévision. Les visages des acteurs se crispent et se déforment. Des rictus effrayants s’accompagnent de bégaiements provoqués par la mise en boucle de dialogues amputés. L’ambiance devient pesante. Les sons qui proviennent de toutes parts se mélangent. Ces icônes contemporaines sont tout à coup démystifiées, réduites à des postures peu flatteuses. Présentées dans les «réceptacles» qui les ont autrefois élevées vers la célébrité, elles sont aujourd’hui prisonnières d’un système qui les métamorphose.

Que sont devenus ces héros attachants passés au crible de l’artiste? Ces individus inquiétants nous fixent et nous interpellent. Ils nous font entrer dans un «univers impitoyable». Par ces opérations chirurgicales, les scènes sont disséquées et analysées dans le moindre détail.
Les copier-coller opérés ensuite ouvrent un autre champ sémantique. Cette technique met en relation des éléments habituellement étrangers. Apparitions inattendues jusqu’ici imperceptibles. Instants suspendus, déplacés et mis bout à bout pour signifier autre chose.

Candice Breitz s’approprie l’existant pour mieux le revisiter. Elle élimine toute narration et interfère sur le bon déroulement des événements. Elle nous confronte à l’inconnu tout en manipulant des clichés. Odeur de peinture fraîche, étrangeté d’un ordre inhabité : cette installation, décor d’une pièce à vivre, n’est qu’un simulacre de la réalité. Ces stars à la notoriété irrévocable, à l’aspect si familier, se révèlent différemment. L’artiste nous convie ici à voir autrement, à décrypter ce que l’on croit connaître.

On quitte l’endroit. On passe de l’espace privé d’une habitation postiche à la salle de projection de Soliloquy Trilogy. Nous sommes invités à nous asseoir devant un grand écran. Trois films sont proposés. Mais les apparences sont trompeuses car nous ne sommes pas au cinéma. Les fauteuils ne sont que des chaises en plastique, la porte reste ouverte et le public entre et sort à sa guise durant la séance.
Clint Eastwood amorce le premier soliloque. Le face à face avec l’acteur commence pour une durée d’environ sept minutes.
Dirty Harry fait à son tour l’objet d’un piratage. Les images se répètent et s’entrechoquent pour dresser un portait peu rassurant de l’inspecteur. Assis en contrebas nous sommes menacés par l’individu qui nous parle. A qui s’adresse-t-il? Monologue sans interlocuteur, discours sans récepteur. Les paroles sont lancées mais n’attendent et n’obtiennent aucune réponse. Les mots entrent en résonance, se superposent et se mélangent. Propos dénués de sens : c’est la forme sonore qui devient sujet plastique.
La répétition systématique annule le texte pour laisser entendre une musique particulière. Le noir se fait parfois mais la nouvelle partition n’en est pas pour autant interrompue. On suit le film du début à la fin mais l’histoire est tronquée, le récit reconstruit.

Jack Nicholson et Sharon Stone prennent le relais. Les Sorcières d’Eastwick et Basic Instinct sont réduits successivement à quatorze et sept minutes de “samples” remixés.
Les deux comédiens apparaissent seuls. Leur perversité est exacerbée par la mise en scène et les postures qui leurs sont imposées par le nouveau montage vidéo.
Candice Breitz extrait et présente des instants précis d’une trame existante. Elle met en tension des moments jusqu’ici sans relation directe et expose par la même son mode opératoire. Les monologues se succèdent. Les scénarios choisis constituent sa matière première comme des plages musicales remodelées par un DJ. Elle sélectionne, découpe et colle afin de faire surgir un autre discours qu’elle veut accessible à tous.

L’Humain trop souvent idéalisé ou dénigré dans les Soap Operas et les films grand public est exposé au regard plus violemment. La frontière entre les genres, les “gentils” et les “méchants”, a disparu. Établie de manière caricaturale, elle laisse la place à une toute autre objectivité. Les acteurs ne sont finalement plus que des personnes imparfaites et fragiles, plus proches de ce que nous sommes, reflets complexes de notre propre nature.

Candice Breitz
Diorama (Miami Version), 2002. DVD Installation.
Soliloquy (Clint) (from the « Soliloquy Trilogy »), 1971-2000. Film on DVD. 6mn 57.
Soliloquy (Jack) (from the « Soliloquy Trilogy »), 1987-2000. Film on DVD. 14 mn 06.
Diorama (Amsterdam Version), 2002. Installation vidéo (9 DVD en boucle).

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