DANSE | SPECTACLE

Cria

08 Oct - 09 Oct 2019

Les clichés sont tenaces : le Brésil, sa jeunesse, son carnaval, en un mot son exotisme (son érotisme)... Même quand Jair Bolsonaro n'a plus rien de très joyeux et que la forêt brûle. Jouant sur ce décor et ses envers, Cria, d'Alice Ripoll, distille luxuriance sensuelle et silences réflexifs.

Avec Cria (2017), la chorégraphe brésilienne Alice Ripoll (Cie Suave) livre une pièce pour dix danseurs. Le mot ‘cria’, en portugais, a plusieurs significations. C’est d’abord une jeune créature, c’est aussi la création, mais c’est également le mot désignant la favela d’origine, en argot. Mot vigoureux, reflétant l’énergie vagissante comme la fragilité, le bouillonnement créatif comme la difformité, cria palpite. Tout comme la pièce d’Alice Ripoll. « We are Cria, not created ». « Nous sommes la créature-création, pas le créé ». « Pourquoi tant d’enfants ? Parce que tu vas en tuer quelques-uns ». Des phrases brutes pour envelopper la présentation de la pièce. Le ton est tranchant, tranché. Le sexe, la mort, parfois mêlés : la vie grouille, se débat, vagit, déborde. La vie qui ne peut pas s’empêcher de proliférer, sans pour autant s’aimer : « Même dans la naissance, il y a une force qui veut abandonner ».

Cria d’Alice Ripoll : une pièce plurielle (samba, capoeira, break dance, hip-hop)

Avec Cria, Alice Ripoll conjugue les danses. Il y a la ‘dancinha’ carioca, soit la ‘petite danse’ dérivée du ‘passinho’ (petit pas). S’y mêlent des échos de samba, capoeira, break dance, hip-hop… La danse est virtuose, magnétique d’habileté. Les corps génèrent des rythmes, des mouvements qui frôlent l’inhumain. Comme si la seule façon efficace de tuer le temps était encore d’aller l’étouffer dans la recherche de perfection. Sur une scène dépouillée, baignée d’une lumière chaude (d’Andréa Capella), la sensualité affleure. Mais il y a des lézardes dans cette perfection. Électriques et euphoriques, gorgés du plaisir d’être en scène, les danseurs parfois, aussi, s’arrêtent. Le temps d’un souffle, d’un doute. Et alors passe autre chose. Dans l’écart entre les corps filtre une forme de solitude, d’isolement. Et dans la vigueur de la jeune créature vorace, se devine déjà la fatigue de la mort.

Soli, duos, trios, dixtuors, en musique ou en silence… Éclats de jeunesses brésiliennes

Pièce ample, Cria alterne soli, duos, trios énergiques, et moments de pause. Ménageant la possibilité d’une distance réflexive avec l’espace de représentation. Le Brésil, oui. La fête, le carnaval, la jeunesse, la vigueur sexuelle et fatale, oui. Mais le Brésil n’a pas que cette culture-là à vendre. Quand l’exotisme du twerking s’arrête, quand l’hypnose des corps hantés se dissipe, émergent des temps de recherche. Où une autre violence affleure. Celle de la création qui tente des percées, ouvre des brèches pouvant se refermer comme l’engloutir. Créatures créatrices, la création passe par les tâtonnements, les faiblesses, les chutes, les ruptures. Les corps se portent, mais parfois se laissent tomber. Involontairement ou sciemment. Et sans la musique (DJ Pop Andrade), le corps qui répète, encore et encore, dessine aussi les contours de l’épuisement. Et même : de la simulation. Pièce politique, pour finir, Cria délivre peut-être autant du décor que de ses envers.

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