PHOTO | CRITIQUE

Alep, 1915…

PAnne-Lou Vicente
@12 Jan 2008

Le photographe Rajak Ohanian, d’origine arménienne, s’est rendu à Alep, en Syrie, en quête des traces de son père, victime du génocide arménien, qui y vécut en 1915. Une série de photographies résulte de ce voyage. Sur chacune d’elles, un texte.

Comment donner à voir les traces d’un passage, recouvertes, détruites, effacées par les ans? Comment dire la mémoire d’un père enfouie dans l’Histoire d’un peuple ?

Célèbre pour ses séries réalisées dans les années 60 et 70 Les Gitans, L’Algérie, Londres, New-York, et pour ses nombreux portraits d’écrivains, philosophes, jazzmen, gens de théâtre, le photographe d’origine arménienne Rajak Ohanian montre aujourd’hui une série d’images en noir et blanc prises au cours de deux voyages qu’il a effectués durant l’hiver 2005-2006 à Alep, en Syrie.

A Alep, en 1915, son père Garabed Ohanian, jeune Arménien âgé de 11 ans, a été déporté, victime du génocide orchestré par le gouvernement Jeunes Turcs de l’Empire Ottoman et perpétré jusqu’en 1917. Il y vécut avec son frère dans un orphelinat, aujourd’hui disparu. Mais les rues, les pierres, demeurent, elles. Foulées par le pas de cet homme, vues de ses yeux, touchées de ses mains d’enfant. Ces pierres muettes qui gardent en elles la mémoire et la douleur. Un silence grave, multipliant les interrogations, parfois éclaircies par les témoignages des autochtones.

Des textes recouvrent ces images d’Alep. Ils parlent, de différentes façons, — télégrammes d’époque, témoignages, écrits d’historiens contemporains — d’une même tragédie: le génocide arménien, aujourd’hui encore non reconnu comme tel par les autorités turques.
Les mots sont inscrits en lettres blanches, sans espace entre eux, et font bloc. Ce qui met à mal la lisibilité du texte. Mais il s’agit moins d’en saisir toute la teneur que d’en identifier le référent, d’en apprécier l’écho. Quelques mots suffisent… Et leur portée historique, dramatique, perce l’image.

Rajak Ohanian superpose ainsi deux histoires — la «petite» et la «grande» —, deux mémoires — individuelle et collective — : celle d’un être disparu, celle d’un peuple que l’on aura voulu faire disparaître. L’histoire du père, exhumée à travers les photographies imageant sa mémoire, s’inscrit dans la tragédie, dans l’Histoire, douloureusement exhalée par les mots.

Rajak Ohanian :
— Série «Alep, 1915…», 2006. Photos noir et blanc et texte. 125 x 89 cm.

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