ART | CRITIQUE

Albert Oehlen

PCéline Piettre
@08 Nov 2008

Ce hors la loi de la peinture, maître dans l’art de torturer la toile par un excès d’images et de couleurs, livre ici ses dernières œuvres, toujours aussi ironiques, mais traversées d’une harmonie nouvelle.

L’artiste allemand, compagnon de route de Martin Kippenberger, Georg Herold ou Werner Büttner dans les années 1980, figure majeure d’un «néo-expressionnisme» cynique abreuvé à la source de la culture punk, continue de jeter sur le châssis sa haine de la belle manière et des valeurs artistiques dominantes.
Encore aujourd’hui, en 2008, vingt-six ans après qu’il a condamné les «ouvriers spécialisés de la peinture», sa touche, brute et spontanée, révèle la violence et la rapidité du geste. Fidèles aux principes du «peindre vite» et du «peindre mal», ses coups de pinceau génèrent giclures, coulures et amas de matière, disparaissent en des barbouillages opaques. Quant à ses collages, en nombre pour cette nouvelle exposition, ils adhèrent à peine à leur support, preuve d’un travail bâclé ou d’une utilisation intempestive de matériaux pauvres, non pérennes.

Il semblerait pourtant que celui qui maltraitait ses toiles d’une surenchère de matières, d’images et de couleurs, bannissant hiérarchie et principe compositionnel, s’apaise désormais, offrant à ses grands formats des plages de repos, des respirations.
Dans Chloé, la peinture, comme à son habitude, vient envahir la toile pour en perturber la lisibilité, couvrant partiellement les coupures de magazines : publicités de fast-food et de parfum agrandies, inversées et/ou amputées de leur contexte. Mais cette colonisation a son organisation interne, son ordonnance propre. Les pleins et les vides, les masses de couleur s’équilibrent en une harmonie presque classique (!).
Idem pour ce diptyque de 2008, en parfaite adéquation avec la courbe du mur, où un outil au profil de fusée dynamise la composition, la structure autant qu’il la parasite.

Pour l’artiste, la toile n’est plus seulement un «vide poche» — ainsi qu’il se plaisait à la définir —, mais une construction rationnelle où la superposition de collages et l’intervention picturale se répondent et font sens. Un fourre tout bien organisé, qui conforte Albert Oehlen dans son ambivalence, à la fois opposé à l’idée du «peintre», à ses techniques et capable d’exercer une puissante fascination à l’instar ce dernier. Car en même temps qu’il désacralise la peinture dans l’héritage de Sigmar Polke — dont il a suivi les cours à Hambourg dans les années 1970 —, il y projette une expressivité évidente.

Ainsi associés, peinture et collages sont mis sur un même plan, brisant les frontières entre high et low culture, oeuvre et marchandises. L’univers des medias et de la publicité s’affiche dans son éclectisme et sa médiocrité. Certaines photos, de mauvaise qualité, témoignent du récent intérêt de l’artiste pour le pixel, en tant qu’unité première de l’image, et de l’évolution de notre panorama visuel. Fenêtre (critique ?) sur notre modernité, l’oeuvre d’Albert Oehlen ne manque pas d’en révéler aussi la force jubilatoire.

Albert Oehlen
— Chloe, 2008. Huile sur toile. 270 x 300 cm.
— Untitled, 2008. Dyptique. Huile sur toile.
— Untitled, 2008. Collage. 206 x 156 cm.
— Saturn, 2008. Huile sur toile. 210 x 270 cm.
— Untitled, 2008. Collage. 206 x 156 cm.

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