ART | CRITIQUE

Albert Oehlen

PMarie-Jeanne Caprasse
@09 Nov 2011

Naviguant entre formalisme et expressionnisme abstrait, Albert Oehlen poursuit un travail initié dans les années 90 en transposant sur de grandes toiles en noir blanc des motifs générés par ordinateur. Baignée de technologie, sa peinture semble comme apprivoisée par le biais de ce processus maîtrisé.

Cela fait plus de 20 ans maintenant qu’Albert Oehlen fait une peinture qu’il qualifie d’art «post-non-figuratif». Il cultive la provocation, l’ironie, aime dire qu’il fait une peinture du n’importe quoi, sans but, sinon un but abstrait. Considérant le tableau comme une surface vierge ouverte à l’infini des possibilités du médium, il se donne une cible à atteindre: composer une forme articulée indépendante.

Dans les années 90, l’artiste allemand explore de nouveaux territoires d’expression et de réception avec ses premières Computers Paintings. En utilisant un logiciel graphique pour générer des formes inattendues, il crée des images abstraites en noir et blanc imprimées. Mais la technologie a ses limites et ses tableaux, même s’ils sont initiés par un outil extérieur à la peinture, il les finalise toujours à la main.

Les cinq peintures de très grand format et la série de dix dessins, présentés ici sous le titre de Conduction, sont dans la droite ligne de cette recherche formelle. L’artiste interprète à nouveau les motifs façonnés dans ses peintures par ordinateur. Il explore la collusion des lignes et des objets dans un espace indécis et flottant, mixant des formes qui ont la régularité du dessin technologique avec des traits impulsifs proches de la rature ou de l’écriture automatique. Tout est traité sur le même plan, il n’y a aucun ordre ni hiérarchie dans l’assemblage, sinon une nécessité d’équilibre de ces grandes compositions articulées.
Albert Oehlen a pour habitude de travailler en grand, en très grand même, et l’exposition fait coexister tableaux gigantesques et collages en petits formats. Mais alors que les grandes toiles souffrent d’une limitation du regard dans un simple jeu de lignes à la surface de la toile, les petits formats offrent à découvrir un univers formel beaucoup plus complexe.

Associant photographies, tirages jet d’encre et travail au trait, les collages amalgament des registres graphiques hétérogènes. Ce sont ces décalages, ces ruptures de langage, qui suscitent l’intérêt, le questionnement de l’espace du tableau, de son occupation formelle. On retrouve ici le chaos et la saturation visuelle qui font la spécificité du travail d’Albert Oehlen, sans oublier la volonté de rompre avec un équilibre ou une cohérence attendue de la peinture.

Devant les grandes toiles de plus de deux mètres de large, on peut se demander si l’outil n’est pas devenu une fin plutôt qu’un moyen, Albert Oehlen s’enlisant dans un processus de création qui a force d’être trop maîtrisé en devient quelque peu monotone. Est-ce là le symptôme de l’aboutissement d’une recherche? En même temps que le peintre sans doute, cette exposition nous fait nous interroger sur la question de l’abstraction comme finalité ultime de l’œuvre, sur le processus de création et la possibilité ou l’impossibilité de ses évolutions.

Å’uvres
— Albert Oehlen, Conduction 2, 2009. Charbon de bois et acrylique sur toile. 270 x 310 cm
— Albert Oehlen, Conduction 1, 2009. Charbon de bois et acrylique sur toile. 270 x 310 cm
— Albert Oehlen, Conduction 6, 2010. Charbon de bois et acrylique sur toile. 190 x 230 cm
— Albert Oehlen, Conduction 9, 2011. Charbon de bois et acrylique sur toile. 210 x 270 cm
— Albert Oehlen, Conduction 14, 2011. Charbon de bois et acrylique sur toile. 210 x 270 cm
— Albert Oehlen, P 34/10, 2010. Encre et crayon sur papier. 29,7 x 22 cm
— Albert Oehlen, P 38/10, 2010. Encre et crayon sur papier. 27,8 x 23,2 cm

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