LIVRES

Albert Oehlen

Catalogue présentant les dernières compositions de la série des « Computer Paintings » (2002-2004), ainsi que quelques œuvres plus anciennes et plus traditionnelles (1996-2000). Une peinture résolument abstraite, où lignes et tâches de couleurs s’enchevêtrent, où tous les plans s’interpénètrent et qui mélangent les techniques. Une superposition de strates et de couleurs qui à de quoi affoler les pupilles !

— Auteurs : Pierre Sterckx, Jean-Charles Vergne
— Éditeur : Frac Auvergne, Clermont-Ferrand
— Année : 2005
— Format : 30 x 25 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 60
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-913323-98-7
— Prix : 25 €

Albert Oehlen : les écrans d’un vide-poches
par Pierre Sterckx (extrait)

L’usage de couleurs fluo et d’imprimante pixélisée à jets d’encre ne doit pas être compris comme le simple désir de Oehlen d’être au fait des technologies de son temps. Au delà de ce présent revendiqué par la peinture, se profile un autre désir, plus profond et qui concerne les noces du tableau de chevalet et des écrans médiatiques, particulièrement ceux de la télévision et de l’ordinateur. L’effet hypnotique obtenu par les grands formats récents de Oehlen les rapproche du magnétisme électronique. La télévision fait appel au sélénium, l’ordinateur au silicium. Dans les deux cas, l’utilisation de cristaux en semi-conduction produit de l’électricité. Ce travail sur le minéral (on parle aussi d’écrans plats à « cristaux liquides ») comme trame d’émission de lumière bleue et de grain d’images est un défi amoureux lancé à la peinture. Au travers de la technologie s’y joue la co-évolution homme-machine, le désir de dépasser l’enveloppe corporelle, d’accéder à une connaissance sans consumation. On peut voir la peinture de Oehlen évoluer depuis vingt ans dans cette direction. D’abord liée aux violences du fantasme et au désespoir d’un Moi expressionniste, ensuite s’en dégageant progressivement pour valoriser une action humaine lumineuse et ample, où la terreur et l’angoisse, ayant changé de signe, sont devenues pures intensités.

L’apparition de l’image et du texte numériques, la définition du pixel, cette nouvelle unité formelle qui les sous-tend tous deux, a suscité des phénomènes qui sont à présent familiers, tels que la navigation entre différents types de textes et d’images, l’association d’éléments hétérogènes (au détriment des logiques linéaires homogènes), l’autonomie relative des entités (êtres) artificiels ainsi créés, l’interactivité accrue du spectateur et de l’oeuvre. Tout cela avait été de façon prémonitoire esquissé par l’art moderne, d’abord avec des pionniers comme Seurat et Cézanne, ensuite d’une façon explicite par les collages de Braque ou de Ernst, les tableaux écrans de Mondrian, etc. Sauf que la peinture n’a jamais renoncé à la consistance, la sensorialité immédiate de la surface de l’oeuvre que les divers médias depuis la photographie jusqu’à l’écran numérique, n’ont cessé de déréaliser et de désincarner. Et c’est pour cela que, après un siècle et demi de déferlement de ces médias nouveaux, la peinture demeure une expérience vitale dont la mort toujours annoncée se scande par d’éternels retours appelés Stella, Ryman, Basquiat, Richter, Hockney, Polke, Mehretu, Oehlen…

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du Frac Auvergne)

L’artiste
Albert Oehlen est né en 1954 à Krefeld, Allemagne. Il vit et travaille en Espagne.

Les auteurs
Pierre Sterckx est critique d’art à Télérama, Beaux-Arts Magazine, Art Presse, et professeur à l’école nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
Jean-Charles Vergne est directeur du Frac Auvergne.