ART | CRITIQUE

Ah, les belles images !…

PAurore Bonneau
@12 Jan 2008

«Ah, les belles images !…» Renaud Auguste-Dormeuil, Joana Hadjithomas, Khalil Joreige, et Walid Raad, traduisent la guerre d’une façon qui contraste avec l’iconographie réaliste des médias.

«Ah, les belles images !…» Titre dont l’épithète peut laisser songeur pour une exposition croisant le thème de la guerre au XXe siècle et celui de la ville détruite ou menacée. Mais ne nous méprenons pas: les quatre artistes présentés, Renaud Auguste-Dormeuil, Joana Hadjithomas, Khalil Joreige, et Walid Raad, ont traduit la guerre dans des termes visuels opaques qui contrastent avec l’iconographie réaliste des médias. Et s’il appartient à chacun de juger ces images belles ou non, elles ne sont tout du moins pas traumatisantes (ce qui, à priori, les priverait de toute joliesse). Ici, la matérialité des destructions, des luttes et des deuils n’apparaît pas dans l’immédiateté sémiotique du télévisuel ou des photos de presse.

Cette réalité est au contraire soigneusement contournée, au profit de sa symbolisation, de sa mise en scène, de sa projection dans le temps. Renaud Auguste-Dormeuil œuvre notamment dans cette dernière direction. Ses photographies sont les anticipations de destructions urbaines advenues ou potentielles: «Hôtels des transmissions» sont des vues panoramiques prises depuis les terrasses des grands hôtels des capitales européennes. Y sont répertoriés les points stratégiques qui pourraient être visés en cas de bombardements sur ces villes.
Sa seconde série, «The Day Before-Star System», se compose de cartes du ciel reconstituées par logiciel informatique, et prises la veille de bombardements qui marquèrent ce siècle ou le précédent — Guernica, New York, Bagdad… Renaud Auguste-Dormeuil confronte l’observateur au temps de la «pré-destruction» et le frustre ainsi par l’invisibilité de la ruine.

Ces corpus apparemment lisses — panoramas urbains, nuits étoilées — s’avèrent sordides: «Hôtel des transmissions» nous exhorte à soustraire mentalement les centres névralgiques des villes photographiées (hôpital, gare, ministère, etc.), à produire leur anéantissement. «The Day Before» exprime l’inexorabilité des drames à venir, déterminés par des forces célestes que les photographies nous révèleraient. Des êtres humains qui ne se doutaient de rien ont été frappés par la tragédie et la mort; l’observateur est seul mis dans la confidence, placé a posteriori dans une position d’impuissance.

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ont axé leur «Histoire d’un photographe pyromane, Wonder Beirut» sur les transformations urbanistiques qu’ont connues la capitale et la Riviera libanaises.
Des négatifs de photographies kitsch datées des années 60-70 ont été brûlés conformément aux bombardements et aux batailles de rues, puis photographiés et agrandis après chaque brûlure. La déliquescence du matériau photographique symbolise celle du tissu urbain. Mais plus qu’un symbole, l’image incorpore la guerre en la mêlant à sa substance physique. Tant sur la photographie que dans la réalité photographiée, les destructions présentent des données topographiques identiques. Ainsi, l’image entretient avec la ville une relation métonymique.

Walid Raad élabore ce qu’il définit comme étant des créations «hystériques», à la fois archives historiques et documents fictionnelles. Les planches intitulées We Can Make Rain But No One Came To Ask font partie d’un projet initié par l’artiste au sein de l’Atlas Group. Un discours imaginaire institue ce travail: celui-ci serait le fruit de la collaboration de Yussef Bitar, expert en munitions et armements, et Georges Semerdjian, chroniqueur de guerre mort en 1990.
Ces planches, fines lignes de stries d’images posées sur un immense fond blanc, sont en fait réalisées à partir du film extrait de l’installation éponyme qui traite d’une explosion survenue dans les environs de Beyrouth. Les intervalles entre les images, tantôt serrés et tantôt très espacés, semblent s’apparenter au déroulement linéaire d’un film qu’on visionnerait en vitesse normale, ou accélérée, et sur lequel on ferait des pauses, des coupures… We Can Make Rain But No One Came To Ask reproduit donc graphiquement le modus operandi de la mémoire, particulièrement celui de la mémoire traumatisée: appesantissement sur certaines images, refoulement des souvenirs les plus choquants…

Ah, les belles images!
10, rue Duchefdelaville – 75013 Paris
Du 02/12 2006 au 20/01 2007 – de 11h à 19h

Ah, les belles images!
Hors les murs :
4, impasse Beaubourg – 75003 Paris
Du 02 au 23 (inclus) 2006 – de 14h à 19h

Renaud Auguste-Dormeuil
— Hôtels des transmissions – Jusqu’à un certain point, Rome, 2003-2006. Impressions numériques sous Diasec. 50 x 216 cm.
— Hôtels des transmissions – Jusqu’à un certain point, Londres, 2003-2006. Impressions numériques sous Diasec. 50 x 216 cm.
— Hôtels des transmissions – Jusqu’à un certain point, Athènes, 2003-2006. Impressions numériques sous Diasec. 50 x 216 cm.
— Hôtels des transmissions – Jusqu’à un certain point, Genève, 2003-2006. Impressions numériques sous Diasec. 50 x 216 cm.
— Lock, 1999-2006. Impressions numériques sur papier. 20,2 x 26,3 cm.

Walid Raad
— We Can Make Rain But No One Came To Ask: planches 172, 237, 377, 479, 2004-2006. Quatre impressions numériques sur papier. 115 X 200 cm chacune.

Joana Hadjithomas & Khalil Joreige
— Images latentes, 3ème volet du projet Wonder Beirut, 1997-2006. Tirages argentiques marouflées sur aluminium. 47 x 58 cm chacune.
— 180 secondes d’images rémanentes (Lasting Images), 2006. Tirage lambda sur papier, bois. 408 x 268 cm (4500 photogrammes de 4 x 6 cm).

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