ART | EXPO

Affinités, déchirures & attractions

08 Fév - 13 Mai 2012
Vernissage le 07 Fév 2012

Bien que largement construite autour de la vidéo, «Affinités, déchirures & attractions» présente des oeuvres, photographies et installations, qui se réapproprient sous d’autres modalités les processus de construction temporelle ou narratifs qui sont le propre de l’image en mouvement, au profit d’une autre économie du regard.

Éric Baudelaire, Clément Cogitore, Marcel Dinahet, Omer Fast, Stéphane Garin, Bertrand Gondouin, Jan Kopp, La Ribot, Émeric Lhuisset, Adrien Missika, Frédéric Moser & Philippe Schwinger, Jean-Luc Moulène, Deimantas Narkevicius, Till Roeskens, Roy Samaha
Affinités, déchirures & attractions

Interpeller celui qui regarde, interpeller l’au-delà du regard. Et dans cet au-delà du regard, interroger une forme de conscience et de pédagogie du monde qui puisse re-nourrir le sentiment d’y prendre part. Ce pourrait être aujourd’hui un mot d’ordre urgent pour l’image — et même pour un champ esthétique plus large —, tant le continuum lisse et convenu de la représentation, qu’elle soit d’ordre médiatique ou artistique, ne génère plus qu’un sentiment d’extériorité, voire une indifférence déclarée.

Dans les formats les plus divers et les technologies les plus pointues, la photographie, et avec elle la télévision et Internet, délivrent pourtant avec toutes les apparences de l’objectivité un spectacle du monde sans concession et prétendument vrai. Mais la profusion des supports, l’étendue des potentiels techniques et la confusion entre médiatique et commercial escamotent l’impossibilité fondamentale de l’image à dire la vérité. Il y a quelques dizaines d’années, un journalisme qui livrait à ses lecteurs «le poids des mots et le choc des photos», ou qui leur garantissait de «voir la vie, voir le monde, assister directement aux grands événements», fondait son engagement et son militantisme sur le caractère irréfutable du face à face avec le réel. Mais une usure du regard et un assoupissement généralisé semblent avoir eu raison de toute distance critique.

L’image documentaire ne suscite plus le débat, et pour le reportage de Paris Match ou de Life Magazine, la seule promesse qu’il reste encore à tenir se résume à l’exploitation marchande d’un point de vue sur la réalité relevant en priorité du spectaculaire ou du politiquement incorrect. Depuis le 11 septembre 2001, l’esthétique du choc et de la stupeur domine.
Elle flatte le voyeurisme et l’individualisme et n’en finit plus de donner l’ordre de croire aveuglément à ce que l’on voit, comme une conviction subjective et émotionnelle vidée de tout questionnement. On en viendrait à croire que l’image, pour être impactante, doit désormais se concentrer sur des sujets choisis et sacrifier à l’un ou l’autre de ses académismes: le style documentaire neutre ou le lyrisme empathique. Il est vrai que certains sujets comme la guerre et la misère, le corps ou l’intime, touchent directement à la complexité de l’existence, et leur iconographie est riche, depuis longtemps, depuis bien avant l’invention du document.

Bertold Brecht disait que «la guerre enseigne l’humanité en quelque sorte à elle-même, elle lit un cours, un texte dont le fracas des canons et les impacts des bombes ne forment que l’accompagnement». Et le philosophe Pierre Zaoui d’en commenter «l’odieuse mais indéniable beauté, comme le pouvoir indicible de fascination et de répulsion». Certes, il y a tout à la fois un désir de compassion, un sens éthique et des enjeux esthétiques à vouloir toucher le cœur de l’humain, et les images de guerre ou de violence sont devenues monnaie courante dans un monde toujours plus secoué. Mais l’enchevêtrement quotidien d’informations et de pathos au milieu duquel nous vivons organise une colossale cécité collective.
Comme s’il s’agissait chaque jour davantage, tous ensemble, de ne plus voir, au risque du suspens de toute pensée. On aspire alors à de nouvelles modalités pour l’image, qui refuseraient de flatter le vibrato émotionnel individuel pour, au contraire, se faire le véhicule d’une adresse collective. Menée depuis le champ de l’art, où s’expérimentent les processus de la représentation, cette préoccupation réintroduit la question du rôle politique de l’artiste et du document, comme une alternative au consensus médiatique et au contrôle de l’environnement visuel par l’économie.
Olivier Grasser

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