PHOTO | CRITIQUE

Adi Nes

PCaroline Pillet
@12 Jan 2008

L’artiste israélien Adi Nes traite de l’identité en perpétuelle construction, comme le sont ses photographies issues d’une minutieuse transformation de la réalité par le symbolisme, la théâtralité et l’érotisme. Identité masculine, identité fraternelle, identité homosexuelle, culturelle, etc.

Les œuvres d’Adi Nes sont des photographies. Pourtant, c’est en les voyant que l’on peut comprendre que ce terme de  » photographie  » est en fait imprécis pour décrire son travail. En effet, les images qu’il nous présente dans cette exposition sont avant tout des constructions minutieuses et élaborées de situations banales, communes et qui apparaissent néanmoins sous un jour tout à fait différent.

Adi Nes est israélien. Or, cette nationalité n’est pas sans incidence sur son travail. Né en 1966 à Kiryat Gat, il vit dans un pays ravagé, en proie aux haines que l’on réduit à deux : l’israélienne, la palestinienne. Pourtant, ce que montre Adi Nes — dont le décor et les personnages des photos sont directement issus d’Israël — ce ne sont pas ces haines qui s’affrontent et se mutilent, mais les hommes qui les peuplent. Adi Nes en montre la diversité, que nous avons souvent tendance à simplifier, à réduire. Rien de haineux ou de violant cependant dans son œuvre. Au contraire, nous sommes face à une esthétique très travaillée qui différencie totalement ses photographies d’un quelconque style documentaire.

Dans cette exposition, les corps masculins — il ne s’agit en effet que de corps masculins — semblent figés dans d’improbables poses. Non que celles-ci soient incongrues ou inhabituelles, mais bien plutôt tellement esthétisées, travaillées que presque rien ne les rattache au réel, alors même qu’Adi Nes photographie cette réalité simple d’hommes vivant en Israël.
Les photographies d’Adi Nes se composent comme des tableaux et mélangent la vie réelle à l’artifice. L’artiste met en effet en scène ses personnages, comme le ferait un metteur en scène de cinéma avec par exemple des éclairages qui s’ajoutent à la scène construite et dirigée par Adi Nes. Artificialisation de la mise en scène donc. Plus qu’un simple regard, Adi Nes devient un poète composant avec des corps d’hommes, une poésie du désir à laquelle se mêle la vulnérabilité et la dureté de la réalité objective.

Le désir est en effet au centre de chaque photographie. Chacune représente un ou plusieurs hommes, certains torses nus face à l’objectif, endormis ou encore plongés dans une rêverie solitaire, telle cette photographie d’un jeune homme penché au-dessus d’eaux et qui nous fait songer à Narcisse.
Les hommes deviennent les sujets de ce désir qu’Adi Nes revendique en affirmant son homosexualité. Or, ces corps, ces visages semblent n’avoir besoin d’aucun décor. Par exemple, un homme musclé pose devant les barreaux de ce que l’on suppose être la cellule d’une prison. Cet homme torse nu, les bras croisés sur la poitrine, fixe résolument l’objectif. Ce qui transparaît ce n’est pas sa situation difficile de prisonnier — certainement factice car construite pour la photographie — mais c’est le regard du photographe, de ce metteur en scène qui n’exprime ici que le désir masculin pour le masculin. Adi Nes l’affirme, « je suis intéressé par le fossé qui existe entre la réalité objective est celle qui existe dans mon esprit ».

Au-delà de cet aspect omniprésent du désir, Adi Nes explore le thème de l’identité nationale et culturelle. Dans des travaux antérieurs, il a beaucoup photographié de jeunes hommes de l’armée israélienne, véritable puissance et institution dans ce pays. Dans cette exposition, l’armée est présente mais de manière moins flagrante. L’artiste photographie ici, par exemple, des hommes de type asiatique qui semblent surgir de nulle part et qui étonnent. Or, ces hommes sont eux aussi juifs. Pour Adi Nes, Israël est une terre de peuples divers, ce que nous avons tendance à oublier, et il nous le montre à chaque instant en le captant par la photo.

Ainsi, c’est avant tout l’identité que travaille Adi Nes. Identité en perpétuelle construction, comme le sont ses photographies issues d’une minutieuse transformation de la réalité par le symbolisme, la théâtralité et l’érotisme. Identité masculine, identité fraternelle, identité homosexuelle, culturelle, etc.

Les photographies d’Adi Nes suggèrent sans jamais ne rien expliquer. Et les titres de ses œuvres invariablement nommés Untitled n’en disent pas plus. Ainsi, Adi Nes est avant tout un metteur en scène qui capte les corps et les visages et transcende le quotidien par l’artifice.

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