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Adapting for Distorsion, Haptic

Adapting for distorsion
Une ligne de points se forme accompagnée d’un crépitement sonore. Ce pourrait être le son d’une image qui brûle ou l’impression de caractères brailles sur du papier. Les parasites électroniques ordinairement gommés sont ici amplifiés, sculptés. Le compositeur, danseur, chorégraphe, interprète et vidéaste Hiroaki Umeda évolue sur un fond sonore électroacoustique : montage, compression, gel, réverbération, écho, filtrage, absence de filtrage, mixage, accumulation constituent les opérations récurrentes de ses compositions.

Les parasites semblent les matériaux de base d’un espace scénique composé d’une unique projection vidéo déployée au sol, au mur et sur le danseur. Le corps infuse dans ce bain d’ondes technologiques. Des mouvements de hip hop éludés animent le corps électrifié. Les déflagrations lumineuses, la neige télévisuelle, les images furtives, le grain de la matière électronique participent de ce déploiement du moindre traversé comme par des zones de turbulences.

Le corps machinique fait immersion dans un quadrillage post-cinétique optique. Le noir et blanc graphique de cette pièce renvoie aux oscillations des toiles de Bridget Riley et à ses ondulations. La grille, qui se répand au sol en constant mouvement, provoque une ambiguïté spatiale liée à l’évanouissement rapide des structures géométriques. Le corps confronté à des trombes lumineuses reste frontal, triangulaire, solide. Réduit à son essence schématique, il est rayé de l’écran. En faisant vibrer les lignes orthogonales, le danseur influe sur le graphisme comme les lignes des piscines ondulant par le mouvement de l’eau.
Hiroaki Umeda semble prôner ici l’idée d’une figure bioélectrique, en proie à un monde technologique (Matrix) qui aurait pris le pouvoir sur lui.


Haptic

La nouvelle pièce d’Hiroaki Umeda, Haptic, diffère de la précédente. Le volume sonore — un bruit de fond — est plus progressif. Plus douce aussi, l’image apparaît comme une longue transition vidéo, de l’opacité à la lente éclaircie.

Tapi dans la grisaille, le danseur ressemble à une ombre sans contours. Les tons bleus rappellent les “environnements perceptuels” de James Turell. Comme dans les “champs colorés” de Rothko, cette pièce évolue en aplats à bords indécis, en surfaces mouvantes, parfois monochromes et diversement colorées, par le biais de projections vidéos déployées au sol, au mur et sur le corps du danseur. La couleur semble le vecteur du jeu chorégraphique. Elle vibre et engendre un rapport d’intimité, une sensualité, qui nous éloigne de la pièce précédente.

La couleur est cependant dynamique comme dans les Screen Paintings d’Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet. Le danseur est une ombre qui vacille, vaporeuse dans un sfumato chromatique. Il n’est pas grand-chose. Il est sujet se dévidant de sa matière. Sur des sons ne rappelant plus rien, Hiroaki se lance dans des sortes de claquettes irlandaises. Quelque chose l’empêche de prendre l’espace. Névrotiquement, il trépigne sur place. « L’homme reçoit et par conséquent doit exprimer. C’est ça ou la strangulation », (1) constatait Mark Rothko. Le danseur interagit de façon synesthésique à ce qu’il reçoit. Il répond à ces sensations un peu comme dans le poème Voyelles (1871) de Rimbaud, dans une polysémie visuelle, alliant sonorités, couleurs et mouvements.

Ici, le jaune vert engendre une gamme de gestes circulaires, proches du taï chi, l’idée d’un corps saisi par des ondulations, léger, porté par l’eau.
Au “tableau” jaune, correspond une gestuelle douce, en contradiction avec la défragmentation sonore.
Le fond rouge provoque une accélération pulsionnelle. Les mouvements semblent photocopiés, copiés collés, en crescendo, tandis que chez Rimbaud le “I” rouge entraîne un déchaînement de forces un peu semblables : « I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles dans la colère ou les ivresses pénitentes »
Le fond bleu vert, qui chez le poète renvoie à « clairon », « silence », « anges », engendre une angoisse liée à une spatialité trop vaste.

Le dernier tableau d’Hiroaki Umeda s’achève sur un fond bleu turquoise, une tonalité à la fois fraîche et chaude, l’expression d’un happy-end ?

(1) Mark Rothko, La Réalité de l’artiste, Champs-Flammarion, 2004.
 

Adapting for Distorsion, solo
— Date de création : 2008
— Conception et interprétation : Hiroaki Umeda
— Conception sonore : S20
— Image : S20, Bertrand Baudry

Haptic,
solo
— Date de création : 2008, première en France
— Conception et interprétation : Hiroaki Umeda
— Conception sonore : S20
— Image : S20, Hervé Villechenoux