ART | CRITIQUE

Abendland (History of Masculinity IV)

PMagali Lesauvage
@12 Jan 2008

Dans cette évocation de son enfance et de sa propre histoire, l’artiste suisse Marc Bauer aborde également l’Histoire de l’Abendland (l’Occident) comme «construction mentale». Aux limites du cauchemar, entre barbarie réelle et terreurs de l’inconscient.

Selon Marc Bauer, «la réalité est ce que nous percevons de notre environnement immédiat. C’est une construction mentale. L’Histoire et la moralité sont aussi des constructions». L’artiste souligne, par cette phrase d’introduction à son cycle de dessins en cinq épisodes, History of Masculinity (2004-2006), l’irrationalité du processus historique, dès lors qu’il est conditionné par une mémoire et des valeurs.

Ainsi les souvenirs de Marc Bauer subissent-ils également ce travestissement de la mémoire. Le quatrième chapitre de cette «histoire de la masculinité», qui serait plus précisément le récit de l’éveil de la virilité de l’artiste, est également un aperçu d’une partie de l’histoire de l’Occident, ou littéralement le «pays du soir» (Abendland), vu ici dans un temps crépusculaire de violence et de perte des valeurs.

Marc Bauer transcrit ces souvenirs diffus dans de grands dessins au crayon noir: la fragilité même du support et du matériau d’exécution, aisément effaçable, renforcent l’impression d’éphémère des images qui, comme dans le rêve, se transforment et évoluent au gré de l’inconscient.

Ici, souvenirs subjectifs et Histoire objective se mêlent. La mémoire confuse de l’artiste restitue une vision terrifiante du pape Benoît XVI (Abendland III (Pope)), réminiscence du portrait d’Innocent X par Vélasquez, et nous livre des visions de fin du monde (Abendland VI (Moon Landscape)), d’où sourdent la violence, la terreur et la mort. Dans Abendland I (Heidegger), le philosophe allemand Heidegger, qui adhéra au parti nazi en 1933, est représenté dans une attitude d’attente résignée.
En filigrane, l’artiste évoque un texte d’Heidegger, rédigé en 1945, alors que ses deux fils sont retenus prisonniers dans un camp russe: Abendgespräch est un dialogue philosophique entre deux jeunes hommes emprisonnés dans un camp à la lisière d’une forêt, dont l’angoisse est traduite dans les deux grands dessins Abendland XI (Skulls) et Abendland XII (Forest).

A l’instar des gravures de Goya, ces visions noires de Marc Bauer, aux limites du cauchemar, expriment à la fois la barbarie réelle et les terreurs de l’inconscient.

Marc Bauer :
— Abendland I (Heidegger), 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 30 x 30cm.
— Abendland II (Hall), 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 128 x 180,8 cm.
— Abendland III (Pope), 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 45 x 32 cm.
— Abendland IV (Selfportait), 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 28 x 28 cm.
— Abendland V (Skins), 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 128 x 180,8 cm.
— Abendland VI (Moon Landscape), 2006. Impression numérique. 290 x 390 cm.
— Abendland VII (Dog), 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 128 x 180,8 cm.
— Abendland IX (PG), 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 45 x 32,2 cm.
— Abendland X (Moon Drawing) , 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 45 x 32,2 cm.
— Abendland XI (Skulls), 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 128 x 135,8 cm.
— Abendland XII (Forest), 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 128 x 135,8 cm.
— Abendland XIII (Tree), 2006. Crayon noir et crayon gris sur papier. 128 x 180,8 cm.

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