PHOTO | CRITIQUE

Abbas Kiarostami

PGéraldine Selin
@12 Jan 2008

Des photographies en noir et blanc réalisées en Iran pendant l’hiver, lorsque la neige fait du paysage une variation d’espaces sur le vide et le plein. Puis une installation vidéo qui interroge le sommeil, ainsi que le mystère du sujet où conscient et inconscient, privé et public se croisent.

Les photographies en noir et blanc d’Abbas Kiarostami ont été réalisées en Iran pendant l’hiver 2000, lorsque la neige a recouvert le sol, lorsque le sol n’est que blancheur avec laquelle les arbres dans leur tracé noir entrent en tension. Ces photographies font ainsi du paysage une variation d’espaces sur le vide et le plein.

Vues panoramiques où les lignes d’ombres font des ombres d’une densité égale à celle des formes, plans serrés où les empreintes font parler les textures de la neige : ces photographies sont faussement graphiques. Les lignes tirent leur rayonnement de la neige, et la richesse de cette blancheur, cotonneuse, scintillante ou ombrée, se révèle réservoir d’énergie, pure latence, épaisseur de lumière.

L’expression épurée de Kiarostami évoque la « fadeur » des peintres et calligraphes de la Chine ancienne qui pensaient la lente et diffuse propagation de l’énergie du monde, à la fois rythme cosmique et souffle vital de toute chose. « Fadeur » comme saveur limite par sa délicatesse, saveur au bord du sensible.

Sleepers est une projection vidéo au sol dans un espace feutré, confiné. Contrairement à la Biennale de Venise où l’espace ne bénéficiait pas d’une bonne isolation sonore et visuelle. Une pièce noire de quelques dix mètres carrés dont les parois sont tapissées d’un tissu noir doux au toucher. Tout autour du lit en image, de ce lit occupé par un homme et une femme, une moquette noire atténue nos pas. On peut faire le tour de cet espace du sommeil. Des sons nous parviennent, des sons de rue. Le dispositif sonore est placé en retrait, comme une fenêtre dans un recoin. Une fenêtre qui de temps en temps laisse passer quelque chose du dehors. Par bribes. Un chien aboie. Une moto passe.

Contraste du blanc et du noir grâce aux tissus blancs, tee-shirts, draps et taies d’oreillers. Il y a un feutré du noir mais il y a aussi un feutré du blanc, un blanc d’une blancheur de coton. Que sont les bruits extérieurs pour ces têtes nichées au creux de l’oreiller dans le coton blanc? Il y a des interférences entre les sons de la rue et les mouvements des corps en sommeil. C’est dans l’épure là aussi que Kiarostami souligne la part de veille dans le sommeil. Certains gestes du sommeil évoquent des situations de veille, d’autres suggèrent les âges de la vie.

Qu’est-ce qu’une personne en veille voit d’un corps en sommeil? De deux corps? Leurs échanges, leurs accords et leurs rencontres manquées… A chaque mouvement des corps endormis correspond un bruit de frottement auquel vient se mêler celui des gens, avec leurs sacs, leurs vêtements, leurs plus petits déplacements. Sleepers n’est pas une vidéo mais une installation vidéo qui, en interrogeant le sommeil, pointe le mystère du sujet où conscient et inconscient, privé et public se croisent.

— Noir et Blanc photographie, 2001. Série de photographies. Format légèrement inférieur au A3.
— Sleepers, 2001. Vidéo, 1h 34.

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