ART

A World For The Spoiling

PPaul Brannac
@05 Nov 2010

Comme un hommage aux parois immuablement blanches des galeries de Paris, la galerie In Situ n’a pioché dans le bestiaire récent de Mark Dion que ses moulages les plus albâtrés. Blanc sur blanc, rien ne bouge, serait-on tenté d’écrire.

Le dessinateur et plasticien Mark Dion joue volontairement, ostensiblement, sur le registre de l’enfant appliqué, de la méticulosité naïve du collectionneur. En termes plus techniques, Mark Dion préfère à la chaux vive la plastiline blanchie et le papier mâché au risque d’éteindre un peu ses précédents capharnaüms, dont on ne retrouve guère plus ici d’exemple que dans New England Bottle Dump Dig (2010), haute tablée ronde soutenant une multitude pressée de bouteilles vides et de flacons usagés de toutes sortes, dont l’étagement rappelle le porte-bouteilles de Duchamp.

Mark Dion classifie, ordonne, catégorise les trois règnes de la nature dans des dessins maladroits comme des planches de Buffon, ou dans de vastes étagères, répliques de muséum autant que de chambre d’enfant. Parfois, comme dans The Phantom Museum (2010) son dessin est le pendant exact de l’installation (ou inversement, on ne sait), parfois seulement d’une partie ou la copie d’un élément isolé qu’il cadre d’un trait rouge de crayon d’architecte, tiré au double-décimètre.

Mark Dion documente le réel en dotant abusivement l’artiste des gages d’objectivité qui sont ceux du zoologue, du minéralogiste, du biologiste, mais l’évidente pseudo scientificité de sa méthode, autant que l’archaïsme de ses formes, dénote un amateurisme enchanté de sa propre curiosité, plus excité par l’idée de collection elle-même, que par les objets qui la composent.
Et il faut rester libre d’apprécier son travail en ce sens, plutôt qu’y voir le ressassement d’une critique de la mortification muséale, ou un énième questionnement de la valeur artistique ou scientifique, artificielle ou naturelle, des fac-similés et des emplâtres qu’on y expose. Lorsque l’œuvre s’affiche en effet de manière trop rigoureusement discursive, elle s’abîme dans l’emphase.

Que dire ainsi du discours greenpeacien qu’impose la vue d’un esturgeon en résine sur son lit de verroteries, sous sa chape de verre en forme de cercueil (The Sturgeon, 2010)? Eh bien que si l’on pouvait s’émouvoir de voir disparaître les esturgeons pour des motifs autres que l’angoissante perspective d’une pénurie de caviar, il suffit de voir ici une reproduction fidèle de ce poisson pour perdre d’un coup tous ses scrupules. Cette grosse chose gratte-vase des bas-fonds de la Garonne est en effet parfaitement hideuse. Et l’on ne peut que s’interroger: comment peut-elle produire de si délicieux grains noirs ?
Là encore, et sans doute contre l’intention de l’auteur, il faut rester libre de voir en cette œuvre un questionnement sur l’épatante métamorphose du répugnant en délectable, plutôt que sur quelque dénonciation vaguement écologiste de l’extinction de l’acinpenser sturio par pression gastronomique croissante des milieux aisés.

D’ailleurs Mark Dion lui-même n’aurait-il pas quelque tendance au massacre, lui qui propose finalement de réduire en éclats une sélection de ses moulages, comme au champ de foire, par carabine à plombs interposée ?
The Shooting Gallery (2010) reproduit un stand forain dont l’attraction consiste à dégommer des leurres de lapin et de pigeon, ou des cibles de rats et de canards, avec peluches à la clef. Manifestement, quelques apprentis snipers s’y sont exercés aux joies du «shooting».
On patiente, mais la galerie ne semble fournir aucune arme… A moins qu’il ne faille amener sa propre carabine… On songe avec envie à reproduire les exaltations cynégético-picturales de Niki de Saint-Phalle qui, par surcroît de bonheur, tirait à balles réelles… Mais rien ne vient, qu’un immense et profond sentiment de frustration. Ce que c’est, tout de même, que l’esthétique relationnelle quand on se trouve désarmé…

— Mark Dion, The Cabinet Of  Delight andf Ruin, 2010 (réalisé avec Dana Shewood). Vitrine style art déco, gâteaux en résine, insectes et verre. L 104 cm x p 39 cm x h 197 cm
— Mark Dion, New England Bottle Dump Dig, 2010. Table à étages et bouteilles en verre. 152,5 x 91,5 x 91,5 cm
— Mark Dion, The Sturgeon, 2010. Résine, goudron, joaillerie de pacotille. Dimensions vitrine: L. 157 cm, p. 61,5 cm, h. de 59 cm. Dimensions du socle : L. 155 cm, p. 61 cm, h 71 cm
— Mark Dion, The Phantom Museum, 2010. Cabinet de curiosité et divers objets en argile et papier maché (racine, coquillages, coraux, minéraux, reptiles, monstres naturels et chimères). L 218 cm x p 35 cm x h 218 cm
— Mark Dion, The Shooting Gallery, 2010. Meuble en bois, peluches, objets en argile et papier maché (oiseaux et lapins), tissus, carabine et dessins. L 158,5 cm, p 29 à 37 cm, h 240 cm – sans les peluches.

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