PHOTO | CRITIQUE

A Shimmer of Possibility

Un seul moment, plusieurs regards et autant d’interprétations: exposées en séquences par Paul Graham, les rues ensoleillées de New York, Las Vegas ou San Francisco révèlent des minuscules fragments de vie, qui sont autant d’expériences humaines.

La verrière de la galerie des Filles-du-Calvaire éclaire les clichés de Paul Graham d’une lumière crue, neutre mais chaleureuse. Comme celle des rues largement exposées qu’il a photographiées, à New York, Las Vegas ou la Nouvelle-Orléans.
A de rares exceptions près, Paul Graham représente les scènes de A Shimmer of Possibility sous forme de séquences. Par des séries de clichés d’un même moment, une suite de représentations du réel, prises à quelques secondes de distance ou sous des angles différents.

Ses fragments de scènes sont autant de battements de cils sur une même situation. Des points de vue, car aucune des photos, prise séparément, ne montre aussi bien la réalité que la somme de ces angles. Pour Paul Graham, le tout n’est jamais égal à la somme des parties. Un exemple ? La photo d’un homme hirsute des fleurs dans les mains, associée à un gros plan sur son visage, à des fleurs posées et à des poignets griffés, dit autre chose que chacune de ces images isolée.

Voilà qui s’appelle jouer de l’effet Koulechov, une technique de montage cinématographique où des images sont juxtaposées pour suggérer la continuité d’une action, révéler des liens de cause à effets. Sous l’œil du spectateur chargé d’interpréter les images, en fonction de ce qui les précède ou les suit.

A Shimmer of Possibility aussi rend le public actif. Car chaque photo est un indice, une invitation à démêler la vie d’un personnage, généralement central. Paul Graham ne donne pas les codes de ses scènes, mais livre des fragments de vie et de mouvement.
Son œuvre réhabilite le sens du détail : le quotidien, l’anecdotique, le dérisoire, bref, tout ce que l’œil ne voit plus, devient le sujet des clichés. D’où la réflexion sur le regard, qui traverse toute son oeuvre. Un mégot jeté, des cerises sur le sol : le photographe interroge leur présence et suscite une curiosité nouvelle pour ces images de la banalité, symboles des rues et des villes.

Ces traces de vie humaine passées au microscope invitent le public à contempler le quotidien sous un jour nouveau. Et à tenter de reconstituer le scénario des personnages, des matériaux ou des bâtiments. Ainsi ce plan d’ensemble sur un drugstore de la Nouvelle-Orléans : démultipliée en cinq exemplaires pris à des moments différents, la scène suscite plus d’interrogations qu’un unique cliché. Car elle multiplie les informations sur la réalité du lieu, autant de béquilles à l’imagination du public.

Le rapport entre photographie et réalité ? «Un lien unique et particulier», répond Paul Graham. Car A Shimmer of Possibilty admet aussi qu’un cliché ne dit pas ce qui est vraiment. Il n’en est qu’un instantané, un minuscule fragment, dont le cadre exclut une multitude d’éléments. Comprise ainsi la photo ne vise modestement qu’à refléter les morceaux d’expériences individuelles qui composent une vie. Au public d’imaginer son passé et son avenir.

Publications
— Paul Graham, American Night, Steidl Mack, London, 2003.
— Paul Graham, End of an Age, Scalo Books, Zurich, 1999.
— Paul Graham, Troubled Land, Grey Editions, London, 1987.
— Paul Graham, Beyond Caring, Grey Editions, London, 1986.

Paul Graham
— Las Vegas (Smoking man). Photographies. Dimensions variables.
— New Orleans (Cajun Corner). Photographie. 50 x 118 cm.
— San Francisco (Flower seller). Photographies. Dimensions variables.
— New Orleans (Woman eating). Photographies. Dimensions variables.
— New York/North Dakota. Photographies. Dimensions variables.
— New Orleans (Cherries). Photographie. 91,4 x 119,4 cm.
— Lawnmower man. Photographies. Dimensions variables.
— New Orleans (Kings meat). Photographies. 43,8 x 60,8 cm chaque.

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