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A la Planète magique

PPhilippe Coubetergues
@12 Jan 2008

Des photographies de l’accrochage dans le théâtre de la Gaîté-Lyrique de huit tableaux de la peintre anglaise Heidi Wood. Entre photographie et peinture, abstraction et réalisme.

La galerie Anne Barrault propose actuellement une exposition personnelle d’Heidi Wood. Ce sont au total huit tirages photographiques numériques qui se présentent comme le fruit d’un travail spécifique sur un lieu.
Rappelons qu’Heidi Wood est peintre. Ses tableaux accueillent des formes simples dans une gamme contrastée. Ces motifs relèvent d’une signalétique à la fois secrète et familière qui semble détournée d’un registre lisible tout en conservant une puissance d’indication inaltérée. Parfois associés en polyptyques, les tableaux enchaînés en syntagmes instaurent des significations criantes bien qu’indéchiffrables. Ces indications cryptées sont à mettre en relation avec les environnements qui les accueillent.
C’est pour cette raison qu’Heidi Wood expose cette fois-ci des photographies. Elles s’imposent comme des constats, réalisés lors d’un accrochage situé en amont de cette exposition. Nous verrons que ces photographies sont également conçues comme des tableaux. Le lieu d’accrochage, où ses tableaux ont été photographiés, est par lui-même assez improbable. Il s’agit d’un ancien parc d’attraction dit « Planète magique », situé en plein cœur de Paris dans un ancien théâtre : la Gaîté-Lyrique.
Ce lieu de distraction avait été aménagé dans les années 1980 mais pour des problèmes de sécurité, il n’a jamais véritablement fonctionné. Le décor est donc resté intact depuis. Avant qu’il ne soit transformé à nouveau, l’artiste a choisi cet espace pour faire réaliser quelques photographies de mises en situations de ses tableaux .

À justement parler, nous devrions dire « mise en scène ». L’artiste les intitule Serving Suggestions. Ce sont des propositions d’accompagnement ou d’accrochage. Il n’échappera à personne que ces suggestions se fondent sur des rapprochements formels et chromatiques. Telle courbe de l’architecture se retrouvera dans le contour dessiné du motif ; telle teinte trouvera son équivalent ou sa complémentaire dans le tableau, etc.
Les tableaux peuvent être peints pour l’occasion, ou partiellement adaptés ; il peuvent également appartenir à la « collection personnelle » de l’artiste qui préexiste au projet et qui se constitue peu à peu comme un véritable codex, un système de signes ré-exploitables en permanence. Mais en vérité, les dispositions calculées de ces rencontres entre l’œuvre et le lieu, ces petits arrangements avec le décor, ces accrochages tirés à quatre épingles, nous signalent autre chose. Fixés dans la composition carrée de la photographie retouchée, ces idéals d’intérieurs façon vitrine de magasin se révèlent rapidement sous l’angle du factice et du dérisoire, du banal et du passager.
Ces images s’affirment au final comme des sortes de vanités décoratives au sein desquelles le jeu réciproque de mise en valeur entre le lieu et tableau dresse le portrait de l’usager absent. Dans le reflet lissé des ces tirages « séductifs » contre collés sous plexiglas, il y a fort à parier que plus d’un visiteur se reconnaîtra.

Ces photographies sont des tableaux à deux titres : celui de leur origine (se sont des peintures mises en scène), mais aussi celui de leur genèse, de leur élaboration (chaque élément présent à l’image fonctionne avant tout comme un élément plastique, les lignes, les couleurs, les textures, etc.). Cette qualité picturale des photos est forcée au point d’en faire des images presque abstraites et ceci malgré une dimension figurative clairement affichée. Abstraites dans le sens de conceptuelles, fabriquées, pensées, factices mais aussi dans la proximité stylistique qu’elles entretiennent avec l’abstraction géométrique. Il y a dans la peinture d’Heidi Wood une certaine nostalgie de ces utopies de l’espace sur lesquelles se fondèrent les abstractions des années 1920 et 1930.

Mais cette idée d’une abstraction du décor, cette « ambiance abstraite » d’une architecture parfaitement « designé », cette géométrie rigoureuse des espaces plans et perspectifs est vue sous l’angle subversif de la coquetterie pop. Se dressent en fait sous nos yeux le monde merveilleux « d’Heidiland », celui d’une planète magique où s’abolit la frontière entre la peinture et le réel. Bienvenue dans le joli monde d’Heidi Wood au pays des merveilles.

Heidi Wood
— Serving Suggestion 2003, Planète magique 1, 2003. Tirage numérique. 60 x 60 cm.
— Serving Suggestion 2003, Planète magique 2, 2003. Tirage numérique. 60 x 60 cm.
— Serving Suggestion 2003, Planète magique 3, 2003. Tirage numérique. 60 x 60 cm.
— Serving Suggestion 2003, Planète magique 4, 2003. Tirage numérique. 60 x 60 cm.
— Serving Suggestion 2003, Planète magique 5, 2003. Tirage numérique. 60 x 60 cm.
— Serving Suggestion 2003, Planète magique 6, 2003. Tirage numérique. 60 x 60 cm.
— Serving Suggestion 2003, Planète magique 7, 2003. Tirage numérique. 60 x 60 cm.
— Serving Suggestion 2003, Planète magique 8, 2003. Tirage numérique. 60 x 60 cm.

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