PHOTO | CRITIQUE

À Cuba

PEtienne Helmer
@12 Jan 2008

Sur la pierre des édifices cubains, Ángel Marcos nous invite donc à déchiffrer une stratification historique et temporelle: l’avenir se fossilise autant que le passé, et un présent se cherche, entre la vie et la mort.

Ce que les bâtiments disent des hommes qui les ont édifiés, de leur histoire et de leurs errances: c’est ce que nous proposent les clichés pris par Ángel Marcos à Cuba de 2004 à 2006.

La photographie architecturale et urbanistique prend donc ici une signification politique, qu’il faut lire à deux niveaux: celui d’un paysage urbain dans son agonie silencieuse, et celui, plus discret mais bien présent, d’une vie dont transparaissent quelques traces fugitives. Entre un avenir radieux qui ne tient pas ses promesses et la magnificence d’autrefois, la vie continue de s’affirmer dans un fragile entre-deux.

Des rues et des avenues presque désertes, le portrait délavé du Che sur la palissade jouxtant un immeuble décrépi, des slogans révolutionnaires en lettres décolorées sur des murs lézardés, des gens assis devant un théâtre vétuste: «La tension est claire entre les ruines urbaines et l’utopie», comme le dit Ángel Marcos lui-même (entretien avec Ernst Hilger, 2006).
Les cages d’escaliers et les mezzanines immensément vides et délabrées témoignent d’une splendeur passée. «Hasta la victoria, siempre» dit un encart à l’effigie du Che, dans une interminable avenue arborant les façades grises de ses immeubles muets.

Mais le Cuba d’Ángel Marcos n’est pas sans vie pour autant: il faut un regard minutieux pour percevoir les quelques indices d’une vie dont l’intimité minuscule contraste avec la grandiloquence lyrique des slogans révolutionnaires.
Ainsi, on ne distingue pas immédiatement au second étage cette femme accoudée sur la balustrade noircie de son immeuble en ruine; sur un bâtiment austère et apparemment déserté, du linge sèche à l’une des fenêtres, trace discrète de la vie quotidienne. Pots de fleur, câbles électriques ou vélo esseulé: autant d’indices d’une existence qui s’est réfugiée dans l’insignifiant et le presque-rien.

Sur la pierre des édifices cubains, Ángel Marcos nous invite donc à déchiffrer une stratification historique et temporelle: l’avenir se fossilise autant que le passé, et un présent se cherche, entre la vie et la mort.

Traducciòn española : Santiago Borja
English translation : Laura Hunt

Ángel Marcos :
— Série «À Cuba 3», 2004. Photo couleur.

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