PHOTO | CRITIQUE

4/7 : Slavoutich

PAlexandrine Dhainaut
@04 Déc 2008

En dix-huit images, Guillaume Herbaut témoigne d’un territoire marqué à jamais par la catastrophe de Tchernobyl, tout en y apportant une dimension narrative indéniable. Un entre-deux troublant, mêlant documentaire et fiction.

Succédant à «Tchernobylsty», une série dédiée aux anciens habitants de Tchernobyl contraints à l’exode, la série «4/7 : Slavoutich» de Guillaume Herbaut dresse le portrait d’une ville et de ses habitants: Slavoutich, une cité construite de toute pièce après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl où, dit-on, l’on trouve tout le confort d’une vie moderne. D’une vie contaminée à vrai dire. Car la ville entière, quoique récente, est un objet radioactif parmi tant d’autres.

Accrochées bord à bord et de tailles identiques, toutes les photographies de «4/7 : Slavoutich» se déploient à la manière d’une frise d’un bout à l’autre de la galerie Paul Frèches et impose un sens de lecture de gauche à droite. Après un texte introductif sur Slavoutich, le visiteur «entre en récit» par le premier cliché: un long tunnel que dessine un couloir désert de la gare de Tchernobyl. Comme lui, la plupart des images sont accompagnées d’une note, purement factuelle (telles que «Centre de rééducation des enfants handicapés. 4% des enfants de la ville ont des problèmes liés aux radiations» ou «Rats provenant de la zone radioactive»).

En poursuivant le parcours, on fixe des portraits (que Guillaume Herbaut photographie selon un point de vue et une pose identiques : le sujet, immobile, est pris de manière frontale et à hauteur d’yeux), des photographies de rues et de victimes mortes des suites des radiations. Puis une photographie d’arbres s’intercale et vient troubler la linéarité de la frise. Prises dans la forêt qui jouxte Slavoutich à des moments météorologiques différents, ces vues d’arbres ponctuent la série à intervalles réguliers.

L’agencement et le choix même du sujet interrogent : s’agit-il d’un documentaire ou d’une fiction? Un peu des deux finalement. Le regard apparemment distancié de Guillaume Herbaut dans certains clichés et les précisions statistiques des cartels, ressortissent clairement au photojournalisme (dont il est d’ailleurs issu). En revanche, le côté esthétisant, le jeu des couleurs et de la lumière apportent une dimension plastique qui tend à atténuer la tragédie du lieu, et l’aspect linéaire de la série confère une dimension narrative. En effet, « 4/7 : Slavoutich » se lit à la manière d’un livre, d’une histoire que l’on suit étape par étape. Dans le choix même des motifs, Guillaume Herbaut nous offre deux possibilités de broder, de fabuler : le vide et le vivant. L’esprit s’engouffre dans les rues désertées de Pripiat (une ville fantôme évacuée après l’explosion du réacteur) que Guillaume Herbaut photographie en plongée ; ou dans les salles d’attente vides. Les clichés sur les troncs d’arbres illustrent parfaitement ce dialogue entre le plein et le vide, ces manques que l’imagination se met à combler spontanément.

Puis l’œil s’arrête sur chaque visage – des enfants handicapés, des praticiens ou des défuntes victimes dont les photographies tapissent les murs de Slavoutich et du Musée de l’histoire de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Guillaume Herbaut n’en dit presque rien, quelquefois leurs noms sont indiqués, mais rien de plus. Frustrés par des cartels qui ne disent pas autant qu’on le souhaiterait, on ne cesse de faire des aller et retour entre imaginaire et réalité, entre expérience intime et histoire collective. «4/7 : Slavoutich» cultive cet entre-deux. Même si le visiteur se prend à «délirer» sur ce qui lui est montré, à aucun moment il ne se désiste totalement de la réalité de la contamination.

Guillaume Herbaut
— 4/7 : Slavoutich, 2002. Tirages jet d’encre sur papier Fine Art, 40 x 50 cm
18 images portant le même titre

Publications

Guillaume Herbaut, Tchernobylsty, Le Petit Camarguais, Paris, 2004. 140 pages, 62 photos couleur. Edition trilingue français, anglais, allemand.

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