PHOTO

3 millimètres par an

Evariste Richer est un curieux. Tour à tour, il se frotte aux énigmes mathématiques et à l’imposante science de l’astronomie. Loin de se laisser impressionner par les longs détours de l’apprentissage, il est comme des ces savants curieux qui décline l’intelligence sous toutes ses formes, mais c’est en artiste qu’il travaille, pour donner forme et présence à des phénomènes que la science s’emploie à traduire en équations et abstractions techniques.

Posé à même le sol comme un siège, un cube constitué de milliers de dés multicolores attire le regard. Si le première impression est toute de rigueur et stabilité, on s’aperçoit en se penchant que les dés sont seulement posés les uns sur les autres, formant un édifice que la contingence peut encore faire valser d’un pas maladroit. Trop lourd pour être lancé, il est encore assez fragile pour se décomposer.
On ne s’assied pas si facilement sur le hasard, surtout quand il s’appelle Cumulonimbus Capilatus Incus, du nom de ce nuage dense et puissant qui s’étale sur nos têtes comme une enclume, déclenchant les foudres et la grêle.

D’un bout à l’autre de la galerie, les œuvres se font écho en traçant des lignes de fuite. Deux petits pièces montées sur des murs parallèles se donnent ainsi la réplique : Le Grêlon Noir, un dé à jouer entraîné par un invisible moteur dans une rotation infinie, et un Medéorite, météorite à six faces perforé comme un dé. La mystérieuse trajectoire de cet astre est parvenue en bout de course sur la Terre, mais pour être relancée dans le jeu sans fin des calculs.

Criblé de questions par l’esprit scientifique, perforé par le geste de l’artiste, l’astre prête ainsi son visage minéral à l’infini, à cette grandiose production de l’esprit humain, qui trouve dans le ciel étoilé et les profondeurs abyssales un terrain d’expérience à sa mesure.
Rassemblées dans un coin, trois sondes d’avalanche prolongent ainsi le regard vers un espace enfoui hors de portée du regard, vers un domaine où la connaissance suit de nouveaux repères, où le toucher modèle le regard.

Placées en regard de l’imposant dytpique des Invariants, ces œuvres mystérieuses donne le courage de s’atteler à l’énigme géométrique posée par le triangle maléfique de Platon.
Evariste Richer a formé à partir de planches de contreplaqué deux grands triangles rectangles. Les deux triangles sont composés des mêmes fragments, mais disposés dans un ordre différent. Les éléments de l’un s’emboîtent parfaitement, mais le second agencement fait apparaître un trou dans le triangle. L’assemblage des mêmes éléments compose donc des aires différentes, en dépit du bon sens.

Les énigmes ont une beauté formelle et plastique, elles modèlent l’esprit et le défient, consacrent sa puissance infinie et son interminable course.
Cette beauté, c’est celle là même dont Pessoa faisait entendre le souffle aride :

«Le binôme de Newton est aussi beau que la Vénus de Milo.
Le fait est qu’il y a bien peu de gens pour s’en aviser.
Ôôôô – ôôôôôô ôôô… ôôôôôôô ôôôôôôôô
(Le vent là dehors)»

Evariste Richer
— Cumulonimbus Capilatus Incus. 2007, 8000 dés à jouer de 22 mm. 42,7 cm x 42,7 cm
— Le Grêlon Noir. 2007. Moteur, dé à jouer 22 mm
— Médéorite, 2008. Météorite à six faces perforée sur le modèle du dé à jouer
— La Sonde I, II, III, 2006. Sonde d’avalanche, dorée (265 cm), noire (240 cm), argentée (320 cm)
— Les Invariants, 2007. Diptyque, Contreplaqué. 494 cm x 190 cm
— Bourreau / Victime, 2008. Diptyque, Encre de seiche sur papier aquarelle. 76 cm x 57 cm
Â