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2008. Retour en Lorraine

PRaphaël Brunel
@07 Déc 2008

La Lorraine n’est pas bien loin, aux portes de l’est. Pourtant, les photographes du Bar floréal ont décidé de refaire le voyage trente ans plus tard, de constater par eux-mêmes l’évolution d’une région marquée par l’histoire industrielle française. La recherche photographique se double ainsi d’un engagement politique et social.

Il y a des voyages qui marquent. Pas besoin d’aller au bout du monde, de jouer le touriste ébahi, il suffit parfois d’une aventure, d’être entraîné dans le mouvement de la vie et des humeurs, d’en être à la fois le témoin et l’acteur. Pour certains, l’appareil photo reste encore l’outil indispensable pour capter une histoire en train de se faire, une tranche de vie partagée avec ces autres qui deviennent rapidement des compagnons de déroute. Se replonger dans ces moments c’est risquer de confronter une image idéalisée à une réalité transformée, aux victimes impuissantes du changement

La Lorraine n’est pas bien loin, aux portes de l’est. Pourtant, les photographes du Bar floréal ont décidé de refaire le voyage trente ans plus tard, de constater par eux-mêmes l’évolution d’une région marquée par l’histoire industrielle française.

En 1978, deux jeunes photographes, André Lejarre et Alex Jordan, issus du collectif d’artistes Grapus et futurs fondateurs du Bar floréal, réalisent un reportage sur les grèves dénonçant la fermeture des usines sidérurgiques du bassin de Longwy.

Ils s’affirment ainsi dans une volonté de se tourner vers un reportage «concerné», dans une pratique de la photographie tournée vers le partage et l’aventure humaine. La recherche photographique se double ainsi d’un engagement politique et social.

Le Bar floréal et la Maison des Métallos exposent le résultat d’un projet centré autour de dix photographes dont l’ambition est moins de porter un regard rétrospectif et nostalgique que de s’ancrer dans le contemporain, dans la Lorraine d’aujourd’hui et de rendre compte de ses mutations. Le sujet est pourtant lourd de pathos et il est parfois difficile d’échapper aux fantômes d’une histoire démantelée et d’une culture devenue orpheline.

Le projet n’est pas sans rappeler celui de la Mission Datar lancée dans les années 80 pour témoigner des mutations de la France, mission elle-même inspirée par le programme de la FSA débuté en 1935 aux États-Unis. Comme ces illustres prédécesseurs, le «Retour en Lorraine» du Bar floréal multiplie les points de vue et les styles photographiques.

Leurs photographies s’appuient sur les visages et les paysages d’un territoire. Jean-Christophe Bardot longe les réseaux de communication, aux abords desquels tout est rutilant de nouveauté et de modernité, manière délicate de cacher les problèmes et les cendres encore fumantes de l’histoire ouvrière. Tout comme les centres commerciaux qui ont fleuris dans le paysage lorrain et qui fascinent tant Bernard Baudin.

Alex Jordan et André Lejarre repartent à la rencontre des acteurs de leurs archives, le premier en cherchant dans la peinture écaillée d’un pont les traces d’un démantèlement culturel, le second en réalisant des panoramiques dans lesquels se superposent vues urbaines et visages des habitants, évoquant autant le mouvement que la persistance.
La veine documentaire est également bien représentée et se révèle souvent la plus efficace, par la mise à distance de l’auteur et la place redonnée au sujet, pour traiter de ce genre de sujet.

Avec ses diptyques, Marc Gibert relate des tranches de vies. Carole Pottier réalise des portraits de familles d’anciens ouvriers dans le pur style documentaire, dans un souci de netteté et de frontalité.

Oliviers Pasquiers, quant à lui, travaille sur la parole d’anciens sidérurgistes, collectant leurs souvenirs et leurs anecdotes pour les accompagner de photographies allusives cherchant, dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de photographes des années 90 comme Jean-Louis Schoellkopf ou Marc Pataut, à rendre compte d’un mode de vie, d’une culture et d’une situation sociale : témoigner sans détruire un équilibre précaire, en redonnant la parole aux concernés, en s’appuyant sur un parti pris d’égalité entre le photographe et le photographié. Surement l’enjeu principal de la photographie.

Si les images de «Retour en Lorraine» échappent rarement à une impression de déjà-vu ou pêchent par l’originalité de leurs démarches, elles n’en demeurent pas moins redoutables dans leur capacité à rendre compte d’un territoire et des traces laissées par l’histoire économique et sociale. D’une crise à l’autre, il est parfois bon de se rafraîchir la mémoire.

Jean-Christophe Bardot, Bernard Baudin, Sophie Carlier, Éric Facon, Marc Gibert, Alex Jordan, André Lejarre, Olivier Pasquiers, Caroline Pottier et Nicolas Quinette, Retour en Lorraine, 2008.

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