ÉCHOS
01 Jan 2002

12.02.07 [Droit] Yves Klein, danse et protection du droit d’auteur

A l’occasion de l’exposition d’Yves Klein la chorégraphe Véronique Defranoux exécuta une chorégraphie qui pouvait évoquer un hommage aux Anthropométries d’Yves Klein. Les ayants droit de l’artiste parlent de contrefaçon et de leur intention de recourir à la justice.

Par Tewfik Bouzenoune

Le 30 octobre 2006, lors d’une soirée privée organisée par le groupe Pernod-Ricard au Centre Pompidou, à l’occasion de l’exposition d’Yves Klein, la chorégraphe Véronique Defranoux exécuta une chorégraphie à l’issue de laquelle les deux corps de danseurs, recouverts de maquillage bleu, laissaient leurs empreintes de pieds et de mains sur un support dont le résultat, effectivement, pouvait évoquer un hommage aux Anthropométries d’Yves Klein.

Les ayants droit de l’artiste, flairant ce qu’ils considèrent comme une contrefaçon des Anthropométries, ont indiqué que la performance constitue une «atteinte grave aux droits moraux de l’artiste». Autrement dit, la performance serait une tentative de plagiat, puisque non seulement elles utilisent la couleur bleue, mais encore elles représentent des empreintes de parties de corps tout comme l’œuvre de Klein (dans un cas l’ensemble du corps, dans un autre seulement les traces de pieds et de mains).

Cette nouvelle polémique impliquant le Centre Pompidou pose des questions extrêmement importantes en ce qui concerne le champ de protection de la loi contre les atteintes au droit d’auteur et la place que tiennent les ayants droit d’artistes aujourd’hui disparus dans cette protection.

Que protège le droit d’auteur : une œuvre spécifique ou une idée ? un résultat ou une intention ?

Si des poursuites devaient être engagées dans cette affaire, ce serait alors une singulière interprétation du droit d’auteur qui serait avancée par les ayants droit d’Yves Klein : obtenir que le droit protège non seulement l’idée de l’Anthropométrie, mais également l’utilisation de la couleur bleue dans une œuvre artistique.

Or, selon une jurisprudence bien établie, le droit d’auteur ne protège pas les idées. Celles-ci ne peuvent faire l’objet d’une appropriation privative et ne peuvent faire l’objet d’une protection juridique.
Lorsque Christo a l’idée d’emballer les monuments publics, ce n’est pas l’idée que le droit protège, mais une mise en œuvre concrète de cette idée, en l’occurrence l’emballage du Pont-Neuf. Cette protection lui permet de revendiquer des droits d’auteurs sur toutes les reproductions de son œuvre sur quelque support que ce soit (photographies, cartes postales), mais ne lui octroie pas un monopole général de l’emballage des monuments publics.

Le droit d’auteur ne protège pas l’«idée» de l’Anthropométrie, pas plus qu’elle ne protège l’ «idée» de recourir à la couleur bleue dans une œuvre artistique.
Reconnaître une telle protection reviendrait à interdire à tout artiste de procéder à des anthropométries, ou à des performances de body-painting, et interdirait à tout artiste d’utiliser la couleur bleue dans ses œuvres.
Est-il nécessaire de préciser qu’Yves Klein ne possède pas de monopole sur la couleur bleue ? C’est pour cette raison qu’il a fait breveter son propre bleu (l’IKB) : il lui était impossible de s’approprier la couleur parce qu’elle est un bien commun inaliénable et indisponible.

Le droit d’auteur et ses carences étaient d’ailleurs au cœur du travail de Klein : l’«Exposition du vide» consistait justement en une réflexion sur l’indisponibilité de certains biens communs, comme le vide. Indisponible, ce dernier ne pouvait pas plus faire l’objet d’une appropriation que la couleur bleue : celui qui achetait du vide voyait son titre brûler et sa contribution (de l’or) était dispersée dans la Seine. Si un contrat avait pu exister, au final il ne restait plus rien de la transaction, ou plutôt il ne restait que du vide.

Si la performance en cause avait reproduit une Anthropométrie semblable à celle de Klein, et utilisant le l’IKB, breveté en 1960, il y aurait effectivement eu matière à saisir un juge.

En l’occurrence, les ayants droit veulent faire dire à la loi ce qu’elle ne dit pas. Le but de la loi est de protéger une œuvre, pas d’octroyer des droits réservés sur une méthode ou un style. Elle protège le résultat.

Si le résultat de la performance peut faire penser à Yves Klein, à aucun moment il ne peut y avoir, dans l’esprit des spectateurs de cette performance, une confusion qui les amènerait à confondre des empreintes bleues foncé de pieds et de mains avec une Anthropométrie de Klein utilisant l’IKB.
Or il s’agit là du critère déterminant utilisé par un juge pour déterminer quand il y a eu atteinte aux droits moraux d’un artiste: la ressemblance d’une œuvre avec la sienne, et l’intention de la plagier. Il ne faut pas confondre contrefaçon avec hommage ou référence.

Cette polémique soulève par ailleurs une question encore plus importante : dans une ère de «peoplisation» et de «judiciarisation» croissante du milieu de l’art contemporain, il est opportun de se demander ce que l’ayant droit cherche le plus à protéger en intentant ce genre de procès : l’œuvre ou les revenus qu’il peut tirer d’une exploitation de celle-ci ?

Son rôle est de garantir l’intégrité de l’œuvre d’un artiste aujourd’hui absent pour faire valoir ses propres droits sur son travail. Et son rôle s’arrête là. Le droit ne saurait lui permettre d’utiliser la loi comme un générateur de revenus.

En matière de protection du droit d’auteur, le juge est un vétérinaire qui soigne et protège la poule. Il n’est pas un poulailler permettant de récolter les œufs en batterie, même s’ils sont en or.

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