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1 + 1 = 0

Juliana Borinski présente une bague au design atypique, exposée tel un bijou précieux sous un petit mais clinquant coffret d’étalage en verre.
Cette bague, née de la fusion des anneaux en maillechort de deux pièces d’un euro, n’est pas un modèle unique. Il en existe de différentes tailles selon l’épaisseur des doigts; le prix restant invariablement le même: 1+1+0=110 euros.
Étonnante addition. Aussi étonnante que le travail entrepris par Juliana Borinski, qui se plaît à révéler le côté «obscur» de toute galerie, lieu d’art mais aussi (et surtout?) lieu d’échange marchand.

Sur les murs de la galerie, Juliana Borinski a accroché 8 rectangles de papier canson blanc sur lesquels on perçoit, grâce à la technique du gaufrage, l’empreinte recto verso de pièces d’1 euro.
Côté pile, toutes ces pièces se ressemblent; ce côté indiquant la valeur de la pièce de monnaie – avec, en toile de fond, une carte de l’Union européenne.
C’est ce que l’on appelle, sans mauvais jeu de mots, le revers européen.
A l’inverse, les côtés face, qui renvoient aux pays émetteurs, sont tous différents.
On y découvre des motifs nationaux spécifiques, selon le lieu de frappe de la monnaie: un aigle à l’allure fière pour l’Allemagne, un arbre de vie pour la France, l’homme vu par Léonard de Vinci pour l’Italie etc.

Les motifs d’impression en relief, conçus par Juliana Borinski, mettent donc en lumière le caractère à la fois semblable et dissemblable des pièces d’1 euro: même valeur monétaire, mais valeurs sociales et culturelles distinctes.

Et si cette coexistence, a priori séduisante, témoignait, presque malgré elle, des limites du projet politique européen? Un projet qui, sous des dehors d’ouverture et de partage, passe outre les singularités de chaque état membre, faute de pouvoir (ou de vouloir?) les concilier, pour privilégier coûte que coûte l’alliance économique et monétaire.

Face à la toute-puissance de cette alliance voulue par les politiques néolibérales, le citoyen se retrouve désarmé. Qu’en est-il de l’artiste?

Une vidéo, projetée en boucle sur un mur de la galerie, montre de jolies mains de femme – aux ongles manucurés, frappant avec violence et détermination le disque intérieure des pièces d’1 euro. Ces mains appartiennent à Juliana Borinski.

A l’aide de ce qui rassemble à un maillet, la plasticienne se sert volontairement de la monnaie comme d’un matériau plastique ordinaire, et se débarrasse des insignes de la monnaie unique.
Par là même, Juliana Borinski détruit sa valeur économique; une destruction hautement symbolique à l’heure où plane au-dessus de nos têtes le spectre de la faillite financière.

Mais cette vidéo nous fait seulement voir la première étape du travail de l’artiste.
En utilisant les anneaux en maillechort des pièces d’un euro, en les couvrant d’une très fine couche d’or, et en créant des bagues qu’elle propose à la vente, Juliana Borinski finit par faire de la monnaie qu’elle a mise à mal une marchandise design, dont le prix (110 euros) excède les frais de production et le prix du métal.
Le caractère arbitraire de la monnaie, fluctuant en fonction des caprices du marché des changes, est alors clairement démasqué.

Ainsi, les bagues conçues par Juliana Borinski interrogent aussi bien l’unité de l’Europe que les notions complexes de valeur et d’échange.
Des notions qui délient incontestablement les langues, et suscitent le débat.

La galerie 22,48m2 propose d’ailleurs à la lecture 6 textes qui tentent, chacun à leur manière, d’analyser le pourquoi du comment de l’exposition «1+1=0».
S’agit-il de «mettre l’euro à l’index»? Ou d’ «envisager l’échange sans l’accumulation»? Ou encore de considérer l’argent comme n’étant pas «une fin en soi»?
Créer des bijoux design à partir de la monnaie unique, est-ce du cynisme, ou une simple dénonciation des effets pervers de l’Europe économique et monétaire?

La bague-euro de Juliana Borinski devient, selon les commentateurs, «une mini paire de menottes», « une double guillotine», «un poing américain», ou, plus singulièrement encore, «le symbole de l’infini».
On peut aussi la voir comme une boussole. Une boussole qui nous permettrait peut-être de ne pas nous perdre sur les chemins fangeux des transactions financières qui gouvernent l’Europe, et plus largement le monde entier.

Le travail de Julianna Borinski, terriblement actuel, n’a donc pas fini de faire parler…

Å’uvres
— Julianna Borinski, 1+1=0, 2009-2012. Bijoux en métal et or plaqué.
— Julianna Borinski, 1+1=0 prélude, 2012. Vidéo. 12,25 min.
— Julianna Borinski, Sans titre, 2009-2012. Papier canson et gaufrage.