ÉCHOS
01 Jan 2002

02.04.05. Zevs et Lavazza, d’une stratégie à l’autre

Le jeudi 25 avril 2002, on peut lire dans un quotidien berlinois « quelqu’un a volé le corps d’une pub, la pub fait huit mètres, le jeune doit avoir une chambre immense ». Ce jeune s’appelle Zevs, il est artiste urbain. Le corps dérobé est celui de la femme silhouettée de la marque Lavazza. Cet acte de capture initie le début d’un chassé-croisé entre l’artiste et la marque.

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Acte I
« Armé de mon scalpel, j’escalade la façade de l’hôtel sur laquelle se trouve l’affiche Lavazza. Une heure et demie plus tard, l’otage est en ma possession et je quitte les lieux, laissant sur l’affiche évidée: VISUAL KIDNAPPING PAY NOW! », explique Zevs, artiste français de 26 ans(Libération, 3 fév. 2004).

Acte II
Après ce rapt, alors qu’il est invité par une galerie à Berlin, Zevs découpe à même l’affiche le doigt de la bimbo italienne qu’il envoie au siège de la marque Lavazza en réclamant une rançon de 500 000 euros (prix du budget de la campagne publicitaire).

Acte III
Zevs enregistre une vidéo où apparaissent les jambes de la bimbo se mouvant étrangement et envoie une lettre anonyme exigeant à nouveau une rançon.

Acte IV
A Paris, à la galerie Patricia Dorfmann, en février 2004, les visiteurs ont été invités à voter pour ou contre l’exécution de l’otage.

Acte V
Cette situation ne provoque pas de réaction dans un premier temps au siège de Lavazza, en Italie. Seule la filiale allemande Lavazza avait porté plainte contre X pour destruction. Ce chassé-croisé se poursuivant, un accord est finalement trouvé entre Zevs et Lavazza, après de multiples médiations. Au Palais de Tokyo à Paris, le 2 avril 2005, la marque italienne a remis un chèque de 500 000 euros, en paiement de la rançon, à l’artiste.

Le scénario de Visual Kidnapping, digne d’un roman policier, témoigne d’une forte stratégie anti-publicitaire où les codes de cette imagerie sont bouleversés, dénonçant leur « pouvoir attractif puissant », selon les termes mêmes de Zevs, qui ajoute, « comme en Aï;kido, je détourne sa force à mon profit ».

Cependant, à partir de cet acte, la marque s’est à son tour réappropriée cette stratégie artistique. Comme l’explique Frank Wintergrass, directeur délégué de Lavazza France, « jusqu’à présent, la marque n’avait jamais réellement exploité l’art contemporain en tant que tel pour en faire son territoire de marque. Avec l’œuvre de Zevs s’est aujourd’hui chose faite. Le Visual Kidnapping opère une mutation du modèle de publicité subie vers un modèle de publicité partagée. A présent le public est invité à aller vers la publicité de façon libre et spontanée ».

L’art contemporain devient ainsi une marque en soi, apportant son quotient subversif, provocateur ou drôle, critères que le grand public lui attache généralement, à la campagne publicitaire de Lavazza.

Cette pratique de récupération n’est pas nouvelle, d’autres marques l’ayant déjà éprouvée. Il suffit de se remémorer la publicité pour le coupé Peugeot s’appropriant la signature de Picasso, devenue un logo désormais associé à la marque Peugeot.
Lavazza en payant la rançon (reste à savoir si le chèque est un vrai!) a joué le jeu de l’art pour en faire le pivot de sa campagne de communication.

Carole Boyer

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