DANSE | CRITIQUE

We Were Horses

PMarie Juliette Verga
@11 Juil 2013

Le Centre Chorégraphique National de Roubaix et l'Académie de spectacle équestre de Versailles investissent la Grande Halle de la Villette pour We Were Horses, un rituel tellurique à peine déguisé en spectacle grand public. Après Le Centaure et l'animal et la rencontre puissante avec Ko Murobushi, Bartabas élabore une partition complexe avec Carolyn Carlson, chorégraphe fascinée par le cheval-symbole.

Entre danseurs et cavalières, entre danseuses et chevaux, se glisse dès les premiers instants la musique de Philip Glass, Music in Twelve Parts. Une boucle inexorable dont l’accélération et le vertige rattrapent rapidement les interprètes malgré la douceur apaisante du début de la pièce. Appuyée sur le rythme des battements du cÅ“ur, cette partition agace l’équilibre jusqu’à une sorte d’ivresse ou de nausée. Quelque chose de fort, rempli des recherches de Philip Glass sur les musiques traditionnelles. Pourtant la bande-son est parfois trop présente et fait regretter la force inégalable du silence.

Les êtres vivants –humains et chevaux- foulent la terre déposée sur le sol. Les spectateurs se font face de part un d’autre d’un manège rectangulaire. A l’intérieur de cette forme géométrique franche, les cercles vont prendre le pouvoir et donner toute leur force aux traversées rectilignes, souvent semblables à des fuites. Il s’agit donc durant toute la pièce de variations spatiales autour du cercle. Au centre du manège, un disque légèrement surélevé, tout autour de la sciure dans laquelle pied et sabots dessinent des rosaces infinies. Les cavaliers entrent, tournent autour de l’estrade, tournent dans les quatre angles du manège, se croisent, se suivent, se fuient. Aux vagues des croupes, des crinières et des chevelures s’opposent les lignes des bras tendus, des piques portées. Parfois les cavaliers arrêtent leur chevaux à la lisière du cercle central, un sabot déposé dessus. Parfois ce sont des danseuses qui entourent ce centre, emportées par les spirales d’une danse éternelle.

Atemporelle, cette histoire commune de l’humanité et du cheval ; atemporel le récit de groupes humains qui se pourchassent, s’associent, se protègent. Au premier duo – deux hommes qui s’affrontent ou se rencontrent, rien n’est moins clair – répondent des danses de groupe dans lesquelles hommes et femmes se font face, se font écho. Plus qu’une étroite vision hétéro-normée des relations, il s’agit d’équilibrer les éléments masculin et féminin dans un rituel d’origine et de puissance.

Les chevaux font partie de l’inconscient collectif au même titre que la danse. Symbole d’une relation possible avec l’animal, le cheval – chamanique et psychopompe – est seul capable d’accompagner l’humanité dans tous ses voyages. Les chevaux portent le mythe de la fusion (le Centaure) ainsi que l’érotisme de la chevauchée. Ces masses musculaires sensibles dégagent une énergie phénoménale, une puissance immémoriale. Les pas humains ne peuvent égaler cette hauteur de vibration. L’académie équestre parvient pourtant à transformer les chevaux et leurs cavaliers en corps de ballet. We Were Horses ne présente nullement une équivalence entre ces deux groupes animaux mais plutôt un territoire commun, une rencontre possible et toujours réitérée, des noces éternelles qui ne nécessitent aucun équilibre des forces.

La beauté est présente, la force de l’alliance entre les groupes, l’attention portée à l’ensemble. L’écriture de Carolyn Carlson est perceptible : danseurs dos à dos, front à front, répétition de portés déplacés, d’entrelacements complexes . Les danseurs forment des carrousels réinventés, des lignes qui se font face, des lacis surprenants : voilà les danses folkloriques d’un lieu imaginaire. Guerrière et douce, la partition étonne pourtant. Chacun finit par ressembler à tous, pris dans les mêmes ondulations de jupes, de crinières, de chevelures d’hommes et de femmes. La composition est précise, le vivant instable. Chevaux parfaitement dressés et danseurs accomplis hésitent parfois, se décalent. La beauté se glisse là aussi.

We Were Horses est spectaculaire. Et pourtant si on prend le temps d’interroger sa forme, elle s’apparente à un acte minimal, répété encore et encore. Un rituel qui précède autant qu’il suit le temps présent. Une proposition audacieuse issue de grandes maisons faiseuses de spectacles, un événement culturel qui attire la foule, les familles et les adeptes du divertissement mais cela pour délivrer une expérience rare, abolir le temps et faire surgir des états de conscience limites. Une exception.

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