ART | CRITIQUE

Transcom Primitive

PFrançois Salmeron
@01 Déc 2015

Pierre Clément nous propose de revenir en deçà des sociétés contemporaines férues de communication, et de basculer dans un univers occulte, magique, chamanique. Entre technologie dernier cri et archaïsme, «Transcom primitive» nous met en prise avec les forces invisibles qui traversent et structurent notre monde.

«Transcom primitive» met en exergue deux tendances fortes de l’œuvre de Pierre Clément: la fascination pour les nouvelles télécommunications et les technologies de pointe, et le fantasme d’un retour à un état sauvage de l’humanité. Dans un espace finement ciselé où se succèdent installations, sculptures et vidéo, créés spécialement pour l’occasion et pensés en collaboration avec la curatrice Marianne Derrien, Pierre Clément nous propose de revenir en deçà des sociétés contemporaines férues de communication, et de basculer dans un univers occulte, magique, chamanique.

Baignée de contre-culture hippie ou beatnik, de musique techno ou de cyberpunk, l’œuvre de Pierre Clément se réfère aux atmosphères futuristes des romans d’anticipation, où l’humanité évolue dans des sociétés déglinguées, et voit son destin menacé par des machines ou des découvertes scientifiques aux retombées apocalyptiques.

Mais les machines peuvent également faire des merveilles et produire de la musique. Advanced tanz codex convoque à cet égard l’attirail des disc-jockeys et leurs fameuses platines. Inspirée par la musique répétitive et le «sampling», l’œuvre se structure autour d’une boucle, d’un mouvement cyclique. Toutefois, l’installation se trouve déchargée de toute fonction acoustique. Elle tourne à vide et n’émet aucun son. L’objet est détourné de sa finalité initiale. Au lieu d’accueillir un vinyle, un CD et une plante grasse s’y trouvent posés. Les formats se dérèglent donc, les temporalités se télescopent (le vinyle des années 1950, le CD des années 1990), et les objets se montrent finalement incompatibles. Tout déraille.

Ghost in the shell
nous renvoie également vers un objet technologique devenu incontournable, l’ordinateur. Un fond d’écran banal, représentant une vue du cosmos, se trouve imprimé sur une moquette. D’une part, Pierre Clément prête un aspect décoratif à son œuvre, comme s’il s’agissait d’une tapisserie issue d’une boutique de design. D’autre part, ce fond d’écran souligne la prétention avouée des informaticiens: bâtir un véritable univers, concevoir un monde inédit, ouvrir une nouvelle dimension dans l’existence humaine via l’avènement de l’informatique. A moins que l’artiste ne se montre plus sarcastique… et que l’installation ne se moque de la jeune génération de geeks devenus accros aux écrans et aux réseaux, comme de vulgaires toxicomanes shootés aux psychotropes, ou qui fumeraient la moquette.

A cette image plane imprimée sur tapis répond une sculpture d’aluminium froissée posée sur un cube de plexiglass. Ce vocabulaire minimal fait d’ailleurs écho à la pierre blanche de Temple of zoom, qui trône sur une imprimante 3D comme un silex ancestral. Un outil technologique dernier cri acheté sur Internet en Chine et monté en kit, cohabite avec un simple caillou. On se trouve donc balloté entre technologie de pointe et archaïsme. Le silex marque effectivement les débuts de la «techné» à l’aube de l’humanité. L’imprimante 3D, débranchée et purgée de ses fils, se transforme quant à elle en un socle pour la sculpture, en une scène, en un décor de théâtre, en un lieu d’exposition. Le caillou blanc acquiert alors une fonction cultuelle, comme s’il s’agissait d’un objet magique, intégré à un rituel religieux, qui jouirait d’une véritable aura.

Ainsi, vit-on dans un monde bassement matérialiste, vouant un culte aux objets de communication? Ou, malgré les apparences, évolue-t-on encore dans une société où règnent des croyances irrationnelles, des superstitions magiques? L’installation Ultra High Frequencies recouvre un pan entier des murs de la galerie d’une douzaine d’antennes paraboliques, et constitue un impressionnant lieu de culte, un autel où l’on retrouve des plumes d’oiseaux comme dans un rituel vaudou. Pierre Clément use encore du «sampling» et de la répétition en déclinant un même motif en plusieurs exemplaires, juxtaposés les uns aux autres. S’agit-il d’un dispositif ultra secret ou d’une technologie alternative qui nous permettrait d’interférer avec l’univers, le divin, les extraterrestres? Peut-on repérer, écouter et décrypter des ondes venues du bout de l’espace, qui véhiculeraient un message codé? Pierre Clément semble donc réactiver un vieux fantasme de l’humanité: être en prise directe avec le reste du cosmos, et capter les forces invisibles, les ondes qui le fondent et le traversent.

Å’uvres
— Pierre Clément, Advanced tanz codex, 2015. Pine wood, recycled rubber, synthetizer stands, natural self- hardening clay, pair of Technics SL-1200 MK2, ortofon cells, Technics slipmats, aloe vera, CD, carbon fiber, acrylic paint. 90,5 x 148 x 172,5 cm.
— Pierre Clément, Ultra High Frequencies, 2015. Satellite antennas, bambo, feathers, moss, aluminium brackets, satellite heads. 270 x 220 x 90 cm.
— Pierre Clément, Ghost in the shell, 2015. Chromojet print on velvet carpet 1200 g/sqm, plexiglas, hammered aluminum, natural self hardening clay. 160 x 340 x 183 cm.
— Pierre Clément, Temple of zoom, 2015. 19″ studio racks, plexiglass, 3D printer, styrofoam, metal, MDF, mirror, adhesive linoleum. 92 x 173 x 158 cm.

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