ART | CRITIQUE

Sickkiss

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

En rentrant dans la galerie Michel Rein on sent comme un léger souffle de rébellion nous saisir. L’exposition «Sickkiss» rejoue le culte du dieu tabac qui, depuis quelques temps déjà, est tombé dans les ornières du déni de nos sociétés lissées par la norme.

L’exposition «Sickkiss» de Stefan Nikolaev nous plonge dans un contre-courant singulier, comme si, en franchissant les portes de la galerie, on atteignait là un îlot suspendu au milieu d’un océan liberticide, comme si on entrait dans un local obscur réservé aux initiés au temps de la Prohibition.

C’est un sentiment sur lequel ne se construit pas complètement l’exposition. Au-delà de la référence forcément consciente aux politiques de prévention mises en place par les pouvoirs publics actuellement, le tabac est, chez Nikolaev, un prétexte diffus pour absorber la question de la représentation de l’objet pop.

L’immersion dans laquelle il nous plonge ne souffre d’aucun échappatoire. Le tabac se décline ici sous toutes ses formes: cigarettes, cigarillos, paquet de cigarettes, volutes de fumée, cendrier. L’arsenal est au complet. Il se répand dans les moindres détails singeant dans une certaine mesure le marketing agressif des spots de pubs aux heures où il était encore au premier plan.

La marque qu’il met en évidence dans Return to Glory, un paquet de cigarettes aux dimensions démentes, le produit qu’il sacralise à travers ces cigarettes incandescentes More et Prestige, elles aussi démesurées: tout cela affiche les orientations de l’artiste.
Nous sommes dans une formulation fantasmée de l’Occident, dans une théâtralisation de son économie et dans la vision perverse de la marchandisation ou, pour le moins, dans une version purement aguicheuse de la marchandisation des produits de consommation.

Les installations de Nikolaev oscillent ainsi entre fantasme et répulsion, vision critique et vision béate, entre rigueur ciselée et pointe d’érotisme. La grande force de l’artiste est de débusquer la sensualité là où l’on n’attend que le produit. Son talent est de nous placer à la lisière des deux univers et d’effacer les frontières qui les isolent.

L’aire d’influence de son travail n’est jamais saisissable, ses mélanges et ses emprunts le poussent à s’approcher d’un certain minimalisme pop, un lieu furtif indéterminé qui se situerait entre un Andy Warhol dans ses accumulations de cartons Brillo et un Carl Andre dans l’épure de ses sculptures simplement posées au sol.
Nikolaev frôle aussi le design dans sa présentation comme dans son respect immense des matériaux, ses pièces peuvent être associées ici à une table (le cendrier intitulé Table-abstray et réalisé en bois latté), là à des luminaires (les cigarettes en verre soufflé suspendues de More et Prestige) ou bien le paquet de cigarettes du Return to Glory, pour le coup, véritable mausolée de granit.

Échapper aux médiums de l’art, rendre poreuse la frontière de l’art et du design, de la sculpture et de l’économie, fonder son travail autour de l’objet (l’objet à consommer, l’objet à regarder, l’objet à fantasmer) à travers un regard volontairement esthétique, voire esthétisant: tel semble être l’un des versants de l’œuvre de l’artiste.

L’autre se nourrit de poésie et de romantisme. La vidéo qui donne son nom à l’exposition explore le même thème que les installations. Elle y ajoute cependant une charge érotique comme nulle autre pareille.
Dans un décor noir, on voit un homme de profil (l’acteur Yoshi Oida que l’on a pu voir dans Furyo de Oshima et The Pillow Book de Greenaway), fumant et rejetant sa fumée, face au visage d’une jeune femme (l’actrice Alexandra Surchadjieva) hors-champ d’abord, elle-même de profil et cigarette éteinte aux lèvres, s’approchant petit à petit du personnage masculin jusqu’à l’étreinte prolongée des deux cigarettes, jusqu’à ce que celle de la fille s’allume. Les deux visages se séparent alors, restent les volutes de fumées de l’un et de l’autre comme unique souvenir d’une improbable rencontre.

Comme dans toute l’exposition, la vidéo Sickkiss, le baiser du malade, le baiser de la mort peut-être, distille cette petite liqueur tragique qui a le goût de l’amour comme de l’amer.

Cette exposition participe au programme « Rendez-vous dans les galeries », une initiative de «Francofffonies ! le festival francophone en France».

Traducciòn española : Santiago Borja

Stefan Nikolaev
— Sickkiss, 2006. 35-mm film transféré sur DVD, couleur, son. 6 mn 25 en boucle.
— Lucky You, 2005. Néon, boîte en aluminium, matériel électrique. Diam. 100 cm.
— Table-ashtray, 2005. Bois laminé. Diam. 150 cm.
— Return to Glory, 2005. Granite. 120 x 77 x 30,5 cm.
— Prestige, 2005. Verre soufflé peint, matériel électrique. 95 cm x diam. 6 cm chaque.
— More, 2005. Verre soufflé peint, matériel électrique. 120 cm x diam. 7 cm chaque.
— Sans titre, 2006. Néon. Dimensions variables.

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