DANSE | CRITIQUE

Sa Prière. Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

PNoémie Coudray
@18 Juil 2015

Dans un entretien avec sa mère convertie à l'islam, Malika Djardi élabore une pensée chorégraphique en interrogeant le lien entre foi et pratique. Réflexion en mouvement sur l’action rituelle et la notion d’engagement, la pièce installe un jeu de miroirs la mère et la fille, en abordant les questions du corps, du langage et de l’identité.

Sans apparat, en toute simplicité, la chorégraphe Malika Djardi se place sur la scène. Pour l’accompagner, un tube vertical à facettes reflète au sol des éclats lumineux, dessinant des lignes, des rais de lumière. En fond sonore, tirée d’un entretien enregistré avec sa fille, la voix de Marie-Bernadette Philippon, la mère de Malika, emplit l’espace. Malika silencieuse utilise son corps pour exprimer son ressenti. Une discussion dansée commence.

Ce documentaire sonore commence par des choix: «Je ne sais plus comment c’est venu. Je crois que c’est lui qui a choisi ton prénom effectivement. Moi, il m’avait dit, tu choisiras le prénom de ton fils et après quand il a su qu’il allait avoir une fille. Comme tu étais la première, c’est lui qui a choisi le prénom. Il n’était pas tellement bavard».

Malika répond par des gestes précis et saccadés. La bouche entrouverte, elle s’approche du cylindre et tourne lentement autour. L’influence du père sur les choix familiaux n’est pas insignifiante. Marie-Bernadette était chrétienne lors de leur rencontre. Elle a dû faire un choix. «C’était une personne douce et agréable. Il disait: j’ai le droit d’épouser une catholique, j’ai le droit d’épouser une non-musulmane. Tu fais selon ta conscience, comme tu veux faire toi».
Absent de la conversation, sa présence n’en est pas moins fondamentale. Cet homme, invisible sur la scène comme peut l’être une divinité, a été une passerelle pour épouser l’islam. Cette décision interroge sur la liberté de culte dans des relations amoureuses. Ces dernières sont-elles exemptes des déterminismes sociaux ?

La discussion est ouverte. Le bruit de la tasse à café ou du thé qui se prépare sur la table montre la liberté de parole entre les deux femmes.
Toutes les questions de Malika sont pourtant absentes. La relation mère-fille est à la fois calme, sereine et fusionnelle. Construisant des univers parallèles, chacune a fait des choix. Marie-Bernadette s’est convertie à l’islam et Malika à la danse. La chorégraphe observe avec un intérêt bienveillant les choix que sa mère a faits. Elles ne s’opposent pas l’une à l’autre.
Comme un effet miroir, les envies de la mère se projettent directement sur la fille: «Je voudrais monter un spectacle sur les différentes phases de la prière». Malika concrétise ses désirs. Son geste sur scène s’affirme. Tandis que la parole maternelle formule le rituel, Malika chorégraphie le patrimoine sacré qu’elle a reçu.

Malika a observé durant son enfance les rites religieux de sa mère. Musulmane croyante, mais absolument pas intégriste, Marie-Bernadette s’est penchée sur les principes de l’islam et les cinq prières quotidiennes. La projection de l’ombre du corps sur le sol rappelle les heures de pratique.
Sur le plateau, elle court, traverse la salle en diagonale, s’appuie sur les murs, fait la roue. Par des gestes ordonnés et vifs, elle traduit l’attachement maternel et le désir d’indépendance éprouvé lors de l’adolescence.
Avec légèreté et modestie, sa mère questionne le monde de Malika. «Quelle différence y a-t-il entre la danse moderne et contemporaine? Moi, j’ai fait de la rythmique». Cette curiosité naturelle manifeste une forme d’enjouement. Le mouvement devient plus sportif, débordant d’énergie sur le morceau pop We found love, chanté par Rihanna. Malika cherche le chemin pour conquérir son identité. Elle interroge les dichotomies culturelles et symboliques que sa mère lui a transmises. Elle quitte sa position d’enfant pour devenir adulte et prendre sa place dans la société.

Malika simule la douleur. Son souffle se fait plus dense. Le poing devient plus ferme. Essoufflée, elle donne des coups en direction de son cœur. Marie-Bernadette Philippon annonce le changement de son nom de baptême: «J’ai changé de voie, donc je me suis appelée Aisha Djardi. Le prénom, Aisha, c’est la vie». En même temps qu’elle se convertit à la religion musulmane, Marie-Bernadette donne naissance à sa fille. La relation entre les deux femmes est ainsi tissée dans la chair.

«La prière est un rituel fait pour transmettre l’ascension. Au moment où tu la fais, tu t’abstrais du monde». Dans un moment de recueillement, le geste de Malika se fait plus doux. Il s’imprègne des paroles de sa mère. Les mains dessinent des vagues ascendantes et descendantes. L’élévation spirituelle de sa mère transparaît au travers de son corps. Sa danse construit le récit d’une transformation physique et mentale.

Malika enlève ses baskets et ses chaussettes. «Je ne me rappelle pas de tout, j’ai des bribes de souvenirs». La mémoire refait surface au fur et à mesure. Une lointaine musique orientale se fait entendre. La rencontre amoureuse entre ses parents refait surface. Entre les attentes de sa mère et le manque de partage de son époux, la relation n’est pas celle espérée. «L’idée que j’avais d’un homme ce n’était pas du tout ça. J’imaginais quelqu’un avec qui j’allais pouvoir cheminer, échanger, discuter, dialoguer tout le temps. Partager tout. Et cela s’est présenté totalement différemment».
Malika déboutonne et baisse son pantalon. La nudité suggère crûment sa féminité. Elle s’allonge fesse nue, dos au public, telle La Grande Odalisque d’Ingres. Comme l’orientalisme onirique et idéalisé du tableau, l’artiste exprime la vision fantasmée du couple parental.

La lumière s’éteint et dans le noir complet, les mots d’Aisha Djardi résonnent: «La prière permettait de nous rapprocher. C’est ce que l’on appelle entre l’invisible et le visible. Nous, on fait partie du visible».
Lorsque la lumière se rallume, Malika s’est rhabillé. Du geste au texte, l’artiste se livre à deux langages différents, deux rites: la mère dans ses exercices spirituels et sa fille dans la danse. Elles ont traversé les mêmes réflexions. Quel lien y a-t-il entre le concret et l’abstrait? Quel est le sens de leur engagement? La répétition du geste permet-elle la transformation? Dans cette quête de l’accomplissement de soi, où passion et croyance s’expriment dans la pratique, Malika et Aisha témoignent de leur admiration mutuelle.

Dans ces tranches de vie délivrées, personnelle et familiale, Malika met en mouvement les choix, les hésitations et les souvenirs de sa mère. Son histoire, sa conversion à l’Islam, les fables de sa croyance abordent les bouleversements de leur vie. Cette prière est une méditation sur un héritage perçu, une réflexion sur l’âme.

Sa Prière de Malika Djardi
Joué du 1er au 03 juin au Centre de Création Le Colombier à Bagnolet

Conception, interprétation: Malika Djardi
Voix-off: Marie-Bernadette Philippon
Musique: We found love, Rihanna feat Calvin Harris, Tres Morillas, Jordi Savall
Technique son: Benoit Pelé
Conseil à la dramaturgie: Youness Anzane
Scénographie: Malika Djardi, Florian Leduc
Création lumières: Florian Leduc, Rémy Chevillard

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