DANSE | CRITIQUE

Philippe Jamet, Portraits dansés : rétrospective (projections)

PSmaranda Olcèse-Trifan
@23 Jan 2011

Philippe Jamet investit les entrailles du théâtre avec un parcours chorégraphique qui réunit des portraits filmés un peu partout dans le monde. Dans une démarche se situant à mi chemin entre l’art brut et la recherche anthropologique, il pose les bases d’un alphabet gestuel des émotions.

Le projet Portraits dansés a été lancé en 1998 et son volet le plus récent date de 2010. Le chorégraphe, accompagné du vidéaste Philippe Demard, provoque des rencontres autour d’un protocole minimaliste : il place des inconnus devant une caméra et les confronte à une même série de questions, en France comme au Vietnam, au Burkina-Faso ou aux Etats-Unis.

Philippe Jamet revendique, dans son travail, une dimension de recherche sur les formes d’expression de la culture populaire et de la mémoire collective enfouie dans les corps. Il interroge l’inscription du corps dans son environnement (la ville, le quartier, le chez soi), mais aussi l’inscription des sentiments et des émotions dans ce corps (le bonheur, le malheur, la peur, l’espoir, l’amour). La simplicité presque dérisoire des questions, jointe à une certaine naïveté ludique, ne parviennent jamais à occulter le côté cru et parfois violent de l’exercice.

Car ceux qui se prêtent au jeu acceptent non seulement de livrer 3 minutes de leur vie à l’avidité de la caméra, mais encore de regarder de manière frontale leur propre vécu. Les moments de levée des apparences et de chute vers l’intériorité y sont rares et précieux, l’épaisseur de l’existence fait vibrer le cadre. Le chorégraphe force d’emblée l’accès à l’intimité et là où les mots pourraient encore se taire, les gestes dansés délivrent le sens de toute une vie, au plus près de sa vérité.

La danse respire dans les interstices du montage thématique. Nous sommes séduits par la diversité des formes d’expression et le jeu des correspondances interculturelles. Le principe d’accumulation de cette machine sérielle marche à merveille, sans pour autant écraser les petits moments de grâce. La richesse de la réalité générée par le dispositif déborde son cadre conceptuel. En deçà des critères esthétiques, qu’ils soient chorégraphiques ou cinématographiques, le résultat est saisissant. Tout se concentre dans le regard ou dans des gestes directs, sincères, qui crèvent l’écran. Il y va d’un don de soi, dans ce qu’il y a de plus évident.

La dernière série de portraits est entièrement dédiée à des chorégraphes français et nous retrouvons avec émotion Odile Duboc peu de temps avant sa disparition. Les réactions de ces créateurs de danse se rapprochent parfois de manière troublante de celles d’individus lambda – les gestes sont peut-être un peu plus minimalistes, lents et appuyés – quand ils n’arrivent pas à sortir du dispositif ou à la détourner.

La question qui traverse l’ensemble de ces séries de portraits serait la suivante : d’où procède la danse ? Nous sommes un brin déçus de constater que les soli ne l’approchent que de loin et restent sur les sentiers battus d’une compilation des gestes et d’attitudes, certes joliment enchaînés.

― Ecrit par : Philippe Jamet, Didier Jacquemin, Philippe Demard
― Réalisation, prise de vues, chorégraphie : Philippe Jamet
― Concept vidéo, montage et fresque : Philippe Demard
― Scénographie : Jean-Baptiste Lavaud
― Créé et dansé par : Patrick Harlay, Nikola Krizkova, Olivier Mathieu, Stéphanie Pignon

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