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Où est passée Madame Gonzales?

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@12 Juil 2012

«Marquise de Tampon Jex», Viviana Moin reprend dans une version courte, comme ruminé, son solo hommage à la pianiste qui accompagnait les cours de danse de son enfance. Entre osmose de la musique et du geste et débordement burlesque, Viviana Moin explose toutes les coutures pour inventer un rôle à sa démesure.

C’est un spectacle qui serait passé à la moulinette, à la machine à laver programme couleurs, essorage et séchage compris, passé au hachoir ou digéré par un oiseau femelle des jungles d’Argentine du Nord. Une pelote de réjection sous forme de pièce dansée.
Explication: Le spectacle d’origine durerait deux heures trente et serait de facture autofictionnelle. Les plus grandes musiques seraient jouées avec brio, une Pompadour viendrait raconter et danser ses mémoires pré-révolution, avec force détails et naturalisme, il y aurait une escarpolette, ce serait beau, peut-être.

Mais voilà, point de Carolyn Carlson sur scène mais la callipyge Viviana Moin et son ubuesque Où est passée Madame Gonzalès? La Pompadour d’origine se retrouve à moitié à nue, seins madonnesques époque Like a Virgin Gaultier, minou à l’air, chairs offertes à tous les vents, à tous les courants d’air. Cette Pompadour 2012 apparaît vêtue/ dévêtue de Tampon Jex, vous savez, ces boules de limaille d’Inox qui servent à récurer vaisselle et éviers.
Ce qui nous sera donné à voir va durer quarante minutes (dommage) et c’est la bouillie du premier spectacle précité; bouillie et substantifique moelle, tartare de danse, cru au début, poêlé à la fin. De Madame Gonzalès, on n’apprendra pas grand-chose, on saura juste qu’elle est là, belle et bien là, mais justement, où? On ne sait pas trop.

Viviana Moin est à l’absurde ce que l’arc-en-ciel est au ciel d’été, un mirage qui surgit, fragile, improbable, fugace. On rit beaucoup, elle est si drôle Viviana Moin, on se marre. Car Viviana Moin est une des grandes spécialistes de la rupture, de la famille de Michel Fau ou Marlène Saldana. La rupture est une figure du réel. Quand elle est réussie (c’est toujours un petit miracle) elle crée un vide et ce vide en appelle au rire, question de remplissage, c’est bien connu: la nature a horreur du vide.

Mais Viviana Moin ne laisse jamais le rire s’installer, et surtout pas le gag, d’ailleurs il n’y a pas de gag. On rit, on glousse, on commence à rire et voilà qu’elle est déjà partie ailleurs, dans cette errance nostalgique et pudique qui n’appartient qu’à elle. D’un coup, nous sommes en 1965, quelque part en Amérique du Sud, « là il y avait un fleuve, un saule pleureur, en 1972 des jeunes jouaient au foot avec une tête de poupée tandis que des psy parlaient de la mort à la télévision ». Le temps de la nostalgie est déjà fini et Viviana Moin a une danse de Saint Guy, un moment de transe tombé du ciel, Vénus hottentote sous mescaline, pendant ce temps, au piano, Pierre Courcelle dézingue la musique sur un clavier caché en coulisses. Pierre Courcelle compose en direct tandis que le corps de Viviana Moin se décompose en devenir-animal époustouflant. Cui! Cui! Et pourquoi n’accoucherions-nous pas comme les oiseaux, debout et en chantant? Cui! Cui! La musique de Pierre Courcelle est non seulement le prolongement de Viviana Moin mais aussi et surtout son impulsion première. Musique et mouvement s’interpénètrent parfaitement, on peut parler d’osmose, il y a beaucoup d’entente entre ces deux-là, beaucoup d’écoute et de communication.

Où est passée Madame Gonzalès? est aussi impalpable que l’inconscient d’un lapin nain. Nous sortons de ces quarante minutes de folie douce totalement «enchantiers», ravis et un peu plus légers. Bien sûr, aucune réponse, aucun message, encore moins de leçon ou de morale. La vérité du geste, voilà tout, et c’est déjà ça Viviana Moin: elle bondit, s’étire, se cambre, remue en divers sens, s’éloigne et s’approche, véritablement.
Le plus touchant chez Viviana Moin, c’est qu’on sent qu’elle n’est pas très consciente de son talent ou de la force de sa présence scénique. Non pas qu’elle doute mais elle est ailleurs, chez elle, d’aucuns diraient chez les timbrés, les fada, les dingo, les désaxés, les dérangés du bulbe. On pense à Zouc. Une Zouc dansante venue d’Argentine. Il y a de ces énergumènes qu’il ne faut surtout pas enfermer. « Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux, regardez-les s’envoler c’est beau. Les enfants si vous voyez, des p’tits oiseaux prisonniers, ouvrez-leur la porte vers la liberté ».

Olivier Steiner est né en 1976. Son premier roman, Bohème, est paru en mars 2012 aux Editions Gallimard.

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