ÉDITOS

Mondialisation de l’art

PAndré Rouillé

Une biennale d’art contemporain, il n’y aura bientôt plus que Paris qui n’en aura pas !
Le 50e anniversaire de celle de Venise est l’occasion de constater que chaque année de nouvelles biennales voient le jour. Pour la seule Europe, après Istanbul, il y a eu Tirana, puis Valencia, Luléa (Suède), Prague, etc. Cela traduit une situation nouvelle de l’art contemporain dans les affaires du monde.
Sans douter de la qualité artistique de ces biennales, force est de constater que, souvent, leur raison d’être relève moins de l’art que de la politique et de la diplomatie.

Autant il a fallu, au cours du XXe siècle, et singulièrement pendant la Guerre froide, que les pays dominants de la scène internationale soient présents à Venise; autant l’enjeu s’est aujourd’hui imposé aux pays émergents, en particulier ceux de l’Europe de l’est, du sud-est et du nord.
Mais la visibilité artistico-politique n’étant ni garantie, ni toujours à la hauteur des attentes, de nombreux pays candidats à la reconnaissance internationale ont été conduits à organiser eux-mêmes une biennale. Non plus seulement envoyer leurs propres artistes en hérauts de leur pays (notamment par le biais des pavillons nationaux à Venise), mais accueillir sur leur sol des artistes internationaux.

On assiste ainsi à une diversification et un élargissement à l’échelle du monde des territoires de l’art. Mais non sans paradoxes.

S’il est vrai que des pays et des artistes d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, ou d’Europe de l’est font leur entrée sur la scène internationale de l’art, il faut convenir que celle-ci reste largement dominée par les valeurs occidentales. En fait, cet élargissement, qui s’opère notamment au travers des biennales, reste assez limité car il rassemble un groupe somme toute restreint d’acteurs reconnus et célèbres de l’art : artistes, commissaires, galeristes, collectionneurs, commentateurs, etc.

L’extension de la scène artistique telle qu’elle se manifeste par la multiplication des biennales obéit aux grandes lois de l’actuelle mondialisation libérale. Significative est à cet égard la simultanéité de la Biennale de Venise et de la Foire Art Basel. Il est peut-être plus significatif encore que certains commentateurs préfèrent Bâle à Venise, tant du point de vue de la qualité artistique que de celui du sérieux de l’organisation. Comme si la logique du marché devenait le moteur de la qualité.

Autre paradoxe. L’extension et la diversification libérales du monde de l’art s’accompagnent dans la plupart des pays d’une diminution drastique des aides publiques à l’art et à la culture — le budget du ministère français de la Culture accuse cette année une baisse de plus de 5%.
Le désengagement croissant des pouvoirs publics, qui s’inscrit en France dans le cadre de la politique de décentralisation, intervient en Europe dans le cadre des négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui visent à soumettre les «services culturels» aux règles ordinaires du droit commercial. Interdisant que les financements publics à la culture entravent la sacro-sainte concurrence, ces règles, si elles sont adoptées, menaceront directement la notion de «service public» de la culture, et la fameuse «diversité culturelle», dont le ministère français de la Culture se fait à juste raison le défenseur.

C’est en réaction à cette situation que la Fraap (Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens) proclame «l’urgence de mobiliser» et organise à Paris ses premières rencontres. Au-delà des initiatives et des acteurs de l’art, il s’agit de «redonner la parole aux artistes et à leurs associations». Au-delà des artistes, la mobilisation s’adresse à «l’ensemble d’un champ professionnel afin de le doter d’une meilleure visibilité politique, économique, sociale et culturelle». On perçoit bien les axes d’une résistance, et les directions de débats et d’actions à venir.

André Rouillé

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Heidi Wood, Serving Suggestion 2003, Planète magique 3 , 2003. Tirage numérique. 60 x 60 cm. Courtesy Anne Barault.

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