ART | CRITIQUE

Magenta

Vernissage le 20 Mar 2015
PFlorian Gaité
@20 Mar 2015

Entre vert et magenta, la nouvelle monographie de Nina Childress répond à l’invitation de Noëlle Tissier d’évoquer la mise en scène du corps. Par un jeu de correspondances et de mises en abime de la peinture, convertissant le roman-photo en tableau-roman, «Magenta» oscille entre fascination sérieuse et dérision assumée, geste méticuleux et déconstruction punk des représentations.

La monographie de Nina Childress au Crac Languedoc-Roussillon prend pour titre le nom d’une couleur fictive au cœur de sa pratique picturale, le magenta, dont elle mobilise le pouvoir d’illusion. Sans fréquence propre, le magenta n’apparaît en effet pas dans le spectre de la lumière blanche, il est davantage perçu comme un phénomène optique connu pour absorber le vert dans la synthèse soustractive. En se focalisant sur cet antagonisme chromatique, Nina Childress déploie une esthétique en contrepoint, jouant des tensions entre les styles, les genres et les univers de référence. La plasticienne organise un parcours en trois salles autour des mises en scène du corps, qu’elle traite tantôt avec une fascination naïve, tantôt avec une ironie désinvolte.

Comme un pied-de-nez au titre de l’exposition, Nina Childress ne présente dans la première salle que des œuvres peintes à dominante verte, sa couleur de prédilection. Sur le mur de l’entrée, un immense wall painting représente une paire de rideaux ouverts sur un autre fermé et l’avant-scène d’un plancher de théâtre. Reproduit plusieurs fois depuis 2012, ce motif est particulièrement révélateur des intentions de Nina Childress: celle d’une part de marquer la figuration académique de son irrévérence (ici l’association du théâtre et de sa couleur maudite), celle de l’autre, de mettre en relief l’artificialité de l’image (en ramenant les arts visuels à un dispositif scénique ostentatoire). Encadrant l’accès de la salle, ce rideau vert organise également l’espace d’exposition en ouvrant sur celle de Sylvie Fanchon qui a déposé de l’autre côté du mur, en clin d’œil, des paires de moustaches sur monochromes verts.

Les peintures qui entourent le wall painting, reprenant pour certaines le motif du rideau, ouvrent toutes sur un théâtre du corps, décliné à travers les arts entre lesquels elles articulent des glissements. Reproductions sur toiles de sculptures ou de photographies, les scènes de danse, de théâtre ou les poses de statuaires évoquent librement l’histoire de l’art et confond ses genres. La prestance des corps de danseurs disciplinés ou les contorsions précieuses des arlequins peuvent prêter à admiration comme à sourire, Nina Childress se jouant des postures ambiguës. Elle se sert de fins ajouts de lumière aux contours des figures et des mouvements qu’elle leur imprime pour leur donner vie, pour les incarner jusqu’à Statue vivante qui parachève le projet pictural. Mais les tons parfois plus ternes du vert leur confèrent tout autant un aspect malade, moisi ou entamé, comme d’anciens vestiges repêchés du fond d’un océan.

La présence plus franche du magenta dans les œuvres de la seconde salle démontre la subtilité du travail sur la luminosité de Nina Childress qui se joue habilement des équilibres et des contrastes pour donner à ses œuvres une facture immédiatement reconnaissable et en multiplier les axes de lecture. L’imposant Crying 2, une acrylique sur kraft qui recouvre tout le mur, montre une jeune femme blonde, une héroïne digne d’un film d’Hitchcock ou de Cassavetes, effondrée sur un canapé. Ses couleurs rehaussées donnent des reflets roux à se chevelure mais surtout appuient l’orange des motifs floraux du meuble, confrontant le désespoir écrasant de la scène dramatique au kitsch criard de son environnement domestique.
Face à lui, Crying 1, une impression numérique de taille moyenne, reproduit la même scène, prise vraisemblablement quelques instants auparavant. L’élargissement du cadre, la plus grande retenue du personnage et les couleurs plus ternes en désamorcent la tension dramatique, la scène de cinéma prenant soudainement l’allure plus triviale d’une description ménagère. Les aller-retour entre cette scène de chagrin ordinaire et l’effondrement désespéré vif et monumental du wall painting créent au final un choc perceptif qui fait oublier l’aspect consensuel du motif.

Dans la série des Nudistes qui les entourent, le kitsch policé et le subversif s’entrechoquent sans que l’on puisse réellement affirmer quelle tonalité domine. La série de petits formats reproduit sur toile des extraits de nudies, des films pseudo-érotiques à petits budgets des années 50 et 60, tournés dans les camps naturistes. La suggestion pudibonde des corps nus, privilégiant la vue de dos ou la perspective obstruée, crée un décalage avec les situations ordinaires et décomplexées dans lesquels ils prennent place (jouer aux cartes, boire un café, faire du sport…). Nina Childress joue également sur le côté suranné de ces cartes postales pour le ramener à un exotisme vintage. Son geste méticuleux, procédant par fines touches, crée des effets de dilution et de flou, qui font tendre la peinture vers un rendu proche du crayon ou du pastel. Cette douceur atténue les contrastes très vifs qu’elle installe par rehaussement lumineux, et en évacue l’agressivité.

La troisième salle, irradiée de rose, associe le pouvoir d’illusion du magenta à l’esthétique du fantasme. Au centre, l’installation Vœux, est délimitée par un rideau de peep-show bricolé, des parois de bandes de papier rose découpées et découpant l’espace, pouvant faire contrepoint au rideau vert de théâtre à l’entrée de l’exposition. A l’intérieur, la projection d’une vidéo découvre un défilé, un concours de coiffes, tandis que résonne la voix Alain Vanzo déclamant La Romance de Nadir, extrait des Pêcheurs de perles de Bizet. La complainte de l’amant face à l’absence de la fiancée qui l’a trompé, sa mélancolie charmante, touchante, tranche radicalement avec l’outrance carnavalesque des modèles qui défilent. L’écran de projection, blanc, est peint par juxtapositions de couches de couleurs, Nina Childress montrant jusque dans le détail de ses installations son attachement à la picturalité. Elle dispose en ce sens cinq petites toiles autour de Voeux aux traits plus empâtés, aux aplats moins soignés que dans les Nudistes. Décrivant une scène de striptease (Petit rideau rose) ou un épisode incongru d’une femme nue sur une tortue géante (Bad Turtle I et II), elles créent un décalage ironique entre un regard candide portée sur des situations insolites et un autre plus tendancieux, qui en retient le potentiel de perversion.

La sortie d’exposition se prolonge avec deux œuvres dans lesquelles Nina Childress rappelle sa culture punk et son passé avec les frères Ripoulin. Kurdish Cactus est un assemblage déstructuré aux traits plus grossiers, quand Exhibition, représentant une exposition de macramés dont la scénographie pourrait rappeler l’art contemporain, étrangement fixée à une tige qui la décolle du mur, ironise sur les concours domestiques et les normes de l’esthétique populaire. Dans «Magenta», avec maîtrise et distance, Nina Childress dit son émerveillement et son incrédulité face à la peinture et au corps, démontrant à la fois toute la force d’illusion de l’art et la vanité de l’imagerie collective.

Å’uvres
— Nina Childress, Rideau vert, 2015. Wall painting, 300 x 400 cm. Exposition «Magenta» au Crac LR.
— Nina Childress, Statue vivante, 2011. Huile sur toile, 162 x 114 cm.
— Nina Childress, Group 3, 2011. Huile sur toile, 55 x 46 cm. Collection particulière.
— Nina Childress, Stage, 2012. Huile sur toile, 250 x 200 cm.
— Nina Childress, Crying 1, 2015. Impression numérique.
— Nina Childress, Crying 2, 2014. Acrylique sur craft. 300 x 400 cm. Exposition «Magenta» au Crac LR.
— Nina Childress, série «Les Nudistes», 2013. Huiles sur toiles, 38 x 46 cm chacun.
— Nina Childress, Vœux, 2014. Installation vidéo
— Nina Childress, Bad Turtle, 2014. Huile sur toile, 27 x 19 cm.
— Nina Childress, Turtle, 2014. Huile sur toile, 33 x 19 cm.
— Nina Childress, Kurdish Cactus, 2012. 116 x 81 cm. Collection François Fauchon et Brigitte Ferrari.
— Nina Childress, Exhibition, 2014. Huile sur toile, 60 x 81 cm.

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