ART | CRITIQUE

Greatest Hits

PSophie Rieu
@07 Mar 2012

«C’est ma plus grande exposition depuis…?!?», et se tournant vers le directeur du Musée d’art contemporain de Lyon, de lancer: «C’est un voyou ce Thierry Raspail!». Voici comment Robert Combas inaugurait le 23 février dernier la grande rétrospective consacrée à son œuvre, «Greatest Hits» — titre d’un tableau datant de 1986.

En effet, s’il faut bien reconnaître que le choix d’une telle exposition peut surprendre à un moment où l’on n’entendait plus guère parler de celui qui fut le prince de la Figuration libre, «Greatest Hits» s’inscrit néanmoins de manière on ne peut plus cohérente dans une série de grandes expositions organisées ces dernières années au Musée d’art contemporain de Lyon: Andy Warhol en 2005, Keith Haring en 2008, et Ben en 2010.

Plus de 600 œuvres, couvrant une période de 35 ans ont ainsi été rassemblées par Richard Leydier, commissaire de l’exposition. Peintures, sculptures, meubles, vitraux, dessins, disques, guitares et autres «Satellites» feront ainsi vibrer, jusqu’au 15 juillet, les 3 étages du musée, dans une progression cohérente et chronologique : «On commence par le début, on finit par la fin» — une évidence, tout comme l’œuvre de Robert Combas.

C’est dans les années 80 qu’explose le mouvement de la Figuration libre — ainsi dénommé par Ben, leur premier grand fan. Alors qu’aux Etats-Unis la Bad Painting triomphe avec Keith Haring, Jean-Michel Basquiat et Kenny Scharf, que l’Italie célèbre la Trans-avangardia, et qu’en Allemagne les Nouveaux Fauves Georg Baselitz et Anselm Kiefer sont choisis pour représenter leur pays lors de la 39e Biennale de Venise, Bernard Lamarche-Vadel réunit dans sa galerie Robert Combas, Hervé Di Rosa, Rémi Blanchard, François Boisrond et Jean-Michel Alberola, dans le cadre d’une exposition, «Finir en beauté».

Nourri de culture populaire (BD, pub, rock, punk, arts de la rue, enseignes, graffitis), l’art du jeune Sétois traverse rapidement les frontières de l’hexagone. Soutenu par des galeristes tels qu’Yvon Lambert et Léo Castelli, il sera exposé à New York, à Milan, à Londres, en Australie — preuve de l’universalité et de l’accessibilité de son œuvre.

«Les règles de la Figuration libre: c’est faire ce qu’on veut le plus possible, le plus personnellement, le plus librement. […] La Figuration libre, c’est quand je fais une bande dessinée avec un héros rigolo et que le lendemain matin je laisse tout tomber pour faire une grande toile sur la bataille de Waterloo. Je ne suis pas Hergé, ni Andy Warhol, ni comme presque tous les grands peintres qui restent souvent prisonniers d’une forme de peinture, d’un ordre établi, qui ne changent que tous les six ans, ou certains même qui ne changent pas de toute leur vie. La vie, c’est de changer. On change de voiture, on change de femme, on change de chaussettes, on change de slip. Alors, on doit changer souvent de peinture, de dessin, d’idée. Un jour appliqué, le lendemain indiscipliné. Du bien fait, du mal fait, mais du soi-même» (Catalogue de l’exposition).
C’est ainsi que Robert Combas parle de son œuvre. Et c’est ainsi que se déploie cette œuvre colossale, tentaculaire, sur les trois étages du musée.

Si la musique, et en particulier le rock et le punk (mais aussi, Brassens!), fait partie intégrante de la rétrospective («rétrospectlive», dixit Richard Leydier), au même titre que les œuvres peintes, c’est surtout au troisième étage que «Greatest Hits» prend tout son sens: sur une scène installée à cette occasion, Robert Combas accompagné de Lucas Mancione et leur groupe, les Sans Pattes, donneront trois concerts: les 16 mars, 6 avril et 15 juin.
En dehors de ces dates, sont projetés en permanence sur écran géant, à la manière d’un tableau animé, des extraits de concerts du groupe. Et dans la salle suivante — discothèque géante — on peut découvrir rassemblés les nombreux tableaux, fresques et sculptures de Robert Combas ayant pour sujet direct la musique.

Le deuxième étage s’ouvre sur une salle consacrée aux batailles: des toiles spectaculaires représentant des scènes de guerre aux dimensions atteignant parfois les 10 mètres comme Waterl’eau (1982) ou La Guerre de Troie (1988). C’est également à cet étage que l’on découvre ce qu’il nomme les «Satellites» (c’est-à-dire tout ce qui n’est pas «peinture classique», et constitué souvent de bric et de broc), les multiples petits crucifix faits de pinceaux et ses productions récentes, de 2010 à 2012, des œuvres mystiques, inspirées d’Aloysius Bertrand et du Paradis Perdu de Milton.

C’est enfin sur ce second étage, que l’on pourra rencontrer Robert Combas «à l’œuvre» (peignant et/ou jouant de la guitare), dans son atelier parisien reconstitué pour l’occasion au cœur-même du musée. «Comme dans un zoo, on pourra voir l’un des derniers spécimens de la peinture française!», plaisante-t-il…

C’est néanmoins le premier étage du musée qui réserve les plus belles surprises. Bien que cette partie soit principalement dédiée aux tableaux conçus durant les années 80, soit la période de gloire de l’artiste, il est intéressant de pouvoir suivre l’évolution de son travail, depuis les premiers tableaux de la fin des années 70, jusqu’au style «classique»-Combas immédiatement identifiable avec ces personnages cernés de noir et imbriqués les uns dans les autres dans des méandres de lignes courbes, et rythmés d’anecdotes loufoques.

Ainsi découvre-t-on ses premiers «essais», évoquant parfois Basquiat: ce sont des Mickeys, des Tintins ou des formes triangulaires — jaunes — peintes comme des «taches» lumineuses sur divers supports — carton, papier peint, aggloméré, etc. — parce que, dit-il alors: «Les toiles sont chères, je n’avais pas d’argent».
L’époque «Pop Art Arabe», qui s’étend de 1978 à 1980 n’en est pas moins fascinante. Installé à Paris chez Hervé Di Rosa, Robert Combas s’inspire des enseignes colorées aperçues à Barbès pour produire des tableaux finalement très épurés: représentation d’objets de consommation courante dans des couleurs vives, parfois fluorescentes, mais dans des formes très sobres, et légendés verticalement d’idéogrammes imaginaires d’inspiration arabe ou asiatique…

En somme, «Greatest Hits» offre un parcours jubilatoire au cours duquel vous verrez, des femmes à poil — et de vrais poils aussi. Un portrait de Freud trônant parmi ces femmes à poil. Et encore «Des femmes à poil dans le style Picasso mélangé à du tournicoti Zébulon psychédélique avec des têtes de chouraves jaunes rigolards».
Des histoires de slips kangourou qui volent. Des chimères lubriques. Des lettres d’amour bleues. Des jambes de femmes qui éclosent comme des fleurs. Un peintre qui essaie de voler. Un peintre qui joue de la guitare. Un guitariste qui peint.
Des anges, des vierges et des filles de joie. Geneviève, la muse. Des murs qui ruissellent de peinture. Des salles inondées de fleurs. Des hommages à Warhol, au «Douanier Roussi» (sic), à Toulouse-Lautrec et aux grands chefs-d’œuvre.
Des tableaux bavards flanqués de fautes d’orthographe. Des poèmes bariolés. Des batailles et des vrais guerriers à phallus fier. Du rock. Des disques. Des fanfares et des guitares à tête de Van Gogh. Des Mickeys… Des photos de play boy bien planquées.
De la poésie. Des rouges. Des jaunes. Des violets. Des verts. Des bleus. Des roses. De la «peinture qui dit le monde» (Thierry Raspail). Un parcours dont on sort épuisé, mais joyeux. Un parcours où assurément la beauté se veut convulsive.

Å’uvres
— Robert Combas, La Femme aux piments, 1979-1980. Huile sur toile. 205 x 180 cm
— Robert Combas, Les Trompettes au son du cerf gueulard, 1983. Acrylique sur toile. 235 x 210 cm
— Robert Combas, La Fanfare du ragelade, 1985. Acrylique sur toile. 167 x 216 cm
— Robert Combas, Les Tournesols de vent Combas, 1990. Acrylique sur toile. 214 x 184.5 cm
— Robert Combas, À l’aise Blaise, 1992. Acrylique sur toile. 30 x 30 cm

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