PHOTO | CRITIQUE

Geert Goiris

PGérard Selbach
@12 Jan 2008

Des photos de campagnes et de paysages verdoyants que le froid, le brouillard et les ciels nuageux figent en une tristesse prenante et silencieuse. L’ensemble crée un langage pictural de friches abandonnées, de territoires perdus, de nature morte comme autant de prises de conscience d’un monde inhumain et d’une civilisation solitaire.

Le silence de la galerie Art : Concept sied aux œuvres de Geert Goiris, artiste flamand, qui expose ici sept photographies dont l’une porte d’ailleurs le titre 12 minutes silence, Brussels (2004). Silence hivernal d’un pré sur fond de buissons et d’arbres dans Eclips (2000), silence matinal et automnal de piscines abandonnées dans Pools at dawn (1999), silence architectural d’un immense bâtiment agricole horizontal qui barre le paysage dans Polar Line (2002).
Sa vision est celle d’une nature dénaturée par l’homme, d’un environnement vide et froid. Ses paysages deviennent dépaysement figé et déprimé. Wave Land (2002) est en fait waste land sur ce cliché, des ondulations de gazon, des vagues d’herbe donnant du vague à l’âme au spectateur.

Si la photographie est un miroir du monde, l’observateur découvre le pouvoir ambivalent du réel photographique, ce faux réalisme. Cette technique artistique capte et, en même temps, crée un monde à la frontière du réel et de l’irréel. Le découpage du monde par le cadrage limite le champ des possibles. L’intentionnel perceptif cadre la réalité, construit le paysage, le façonne pour en donner sens et concentrer l’attention sur le message que l’artiste cherche à faire passer.
La position adoptée est prise de position. L’objectif de l’appareil oriente le regard du spectateur vers l’objectif, le choix de focalisation qui est celui de Geert Goiris : « Par mon travail, j’essaye d’avoir une emprise sur ce que l’on pourrait au mieux décrire comme réalisme traumatique […]. Une cassure qui ne serait pas la fêlure psychologique qui pousse quelqu’un à se confronter à une histoire passée non résolue, mais bien le coup d’œil furtif et transitoire d’une autre réalité […]. Tout ce que je photographie est réel, même lorsque cela paraît impossible » (All due intent, catalogue « Manifesta 5 », 2004). La photographie est miroir réflexif aux deux sens du mot. Le parcours perceptif de Goiris est toujours interprétatif.

On voit que la neutralité photographique n’existe pas : elle est criante de subjectivité. La fonction « copie de vie » de l’art photographique n’est qu’illusion. Ce sont des images sensibles que nous donne à voir Geert Goiris, des tranches de vie triste dans un monde inhabité, car inhumain et pourtant créé par l’homme.

L’absence de l’homme dans ses photos renforce sa présence. Le rhinocéros, couché, seul dans un pré, sur fond de brouillard (Rhino in Fog, 2003), symbolise toute la solitude et le vide de la condition humaine, tout autant que le sort des immigrés du sud dépaysés et délocalisés dans le nord : des êtres transplantés dans un univers hostile, des corps étrangers en terre étrangère. Le vérisme même des photos se métamorphose en symboles picturaux d’une expérience humaine aliénante et se transforme en langage philosophique.

Dans ses dernières œuvres de 2004, Goiris montre plus fortement son besoin de méditer en silence. « La confusion des signes que j’utilise est là pour signifier que notre société devient de plus en plus virtuelle. Beaucoup de signes et signaux que nous recevons chaque jour deviennent informels. L’effondrement du signifiant est un thème qui continue à être une préoccupation personnelle », avoue-t-il dans un entretien avec Karine Claeren (octobre 2004). Cette inquiétude provoque-t-elle son désir d’introspection et de prise de photos d’intérieur ? Dans 12 minutes silence, Brussels (2004), un homme seul, assis à une table, le regard fixe, semble perdu dans ses songes. A quoi pense-t-il ? Ce cliché évoque certaines œuvres du peintre américain, Edward Hopper, où les apparences réalistes renvoient à une métaphore du repli sur soi dans un espace intérieur mental, comme Rooms by the Sea (1951) ou Hotel Window (1956). Quant à Kurort (2004) où Geert Goiris peint une pièce verdâtre, meublée par quelques fauteuils et éclairée par des néons blafards, sans présence humaine, cette photo rappelle Chair Car (1965) qui rend aussi compte d’un vide intérieur. La vision du monde que Goiris cherche à nous faire partager, nous ramène toujours, comme chez Hopper, au silence, à la solitude, à l’aliénation et au vide.

Geert Goiris
— Eclips, 2004. Tirage lambda. 100 x 130 cm.
— Kurort, 2004. Tirage lambda. 120 x 100 cm.
— 12 minutes silence, Brussels, 2004. Tirage lambda. 100 x 130 cm.
— Rhino in Fog, 2003. Tirage lambda. 100 x 130 cm.
— Pools at dawn, 1999. Tirage lambda. 100 x 130 cm.
— Polar Line, 2002. Tirage lambda. 100 x 130 cm.
— Wave Land, 2002. Tirage lambda. 100 x 130 cm.
— Milton Keynes (trajectory), 2004. Papier peint. 340 x 540 cm.

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