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Dark Pearl

Plus qu’un thème, une incursion à un moment clef de la vie des œuvres. Le collectif Pilottti (Aude Berthelot, Tiphanie Dragaut et Marie Lancelin) apostrophe les artistes à cet instant habituellement solitaire pour engager un dialogue créateur —sans garantie de succès. La discussion est au cœur de la méthode du collectif curatorial, d’abord en son sein, puis avec les artistes et les nombreux participants à cette construction collective.

L’exposition se dote d’une «zone de documentation utopique» élaborée avec une quinzaine de collaborateurs et intitulée «Kraken», du nom d’une créature de la mythologie scandinave aux nombreux tentacules. Visuellement, «Kraken« est un bric-à-brac aux couleurs flashy. Parmi les collaborateurs, on trouve les éditions Particules et le commissaire Pierre Vialle, invité à amorcer «Philia», une exposition en devenir basée sur les réseaux et l’amitié.

Dans cette expérience éphémère —l’exposition ne dura que 5 jours—, tout concourt à célébrer le caractère réticulaire de l’art en mettant l’accent sur les amitiés qui se créent et le rassemblement des individualités au sein d’un projet collectif.

Cet organigramme complexe et tentaculaire ferait presque oublier l’exposition sous sa forme classique. Elle réunissait une vingtaine de jeunes artistes chez qui le concept de Dark Pearl a trouvé une résonance. Plusieurs tendances se dégagent: pour les uns, le Dark Pearl semble se situer dans la matière plastique. C’est le cas d’Alexandre Barth qui proposait une immense sculpture de mousse expansive dans un massif cadre de bois intitulée Rodney à la Kunsthalle, ou de Philippe Eydieu qui manipule la lumière.

Philippe Eydieu a conçu un caisson lumineux contenant une photo de Beckett qui s’allumait par intermittences lorsque l’on appelait un numéro affiché à deux endroits de l’espace. On entendait alors un message de répondeur qui donnait les caractéristiques de l’œuvre et de son contexte d’exposition. Le fait de pouvoir écouter ce cartel vocal de n’importe quel endroit donne à cette pièce une extension spatiale presque infinie.

Deuxième tendance: le Dark Pearl se situe quelque part dans l’univers que certains des artistes construisent au sein leur pratique, tel que Dae Jin Choi et ses Hammer Kids, deux petites sculptures d’argile de personnages à tête de marteau, ou le duo We Are The Painters, qui poursuit l’exploration de ses fantasmes féminins avec deux toiles représentant une vahiné, peintes à quatre mains et accrochées au même endroit aux deux étages de l’exposition.

Une sculpture du collectif d’architecte Whiteweekendkites faisait le lien entre ces deux salles, un « monstre » violet en pliage placé au milieu des escaliers dont la forme fut inspirée par les carreaux de carrelage des murs.   

Le Dark Pearl de François Delagnes se trouve dans sa pratique de la planche à voile. Des photographies représentaient une voile sur la mer disparaissant à l’horizon. L’artiste réduit cette voile à son aspect formel: un triangle de trois couleurs, jaune, orange et rouge. De ces couleurs découle la pièce Fontaines, peintures actives, trois fontaines de peintures hypnotisantes à la manière d’un feu ou d’une mère déchaînée. 

Troisième catégorie d’artistes: ceux qui trouvent leur Dark Pearl dans le monde contemporain. Pour le morceler, comme Antoine Aguilar et sa pièce Volatile (Times Square), un tapis de confettis reconstituant une photo du quartier de New York. Un travail de longue haleine  —l’assemblage a duré trois jours complets— qui tient de la performance.

Pour jouer avec ses images, comme Hugues Jouvin et ses trois tableaux La Peinture est plus forte pour toujours, représentations kitsch d’un homme, d’une femme et d’un chien inspirées d’images de magazines.

Ou pour questionner une politique culturelle, comme Bevis Martin & Charlie Youle et leur display pédagogique présentant des sculptures publiques imaginaires miniatures inspirées par la «Loi 1%» —mesure qui consiste à réserver 1% du budget d’une construction publique pour la réalisation d’une œuvre contemporaine in situ.

Sébastien Maloberti et Emilie Perotto peuvent être réunis dans une dernière catégorie: tous deux sont mus par un Dark Pearl qui guide fortement leur choix, mais  qui reste très diffus. Le premier en parle comme de fantômes ou d’hallucinations qui apparaissent dans ses créations.

Emilie Perotto déclare, quant à elle, que «c’est la sculpture en cours qui [lui] souffle les gestes à faire. Une méthode de travail qui détone à une époque où l’on attend des artistes un discours convaincant sur leur art.

La perspective de cette exposition a déclenché la production des deux pièces La Bûche (de la femme à la bûche), une bûche à deux « bras » en Topan isolée dans son espace par un éclairage au néon, et Des Vessies pour des lanternes, une caisse à poignée dans laquelle sont rangées des planches d’aggloméré comme dans une bibliothèque.
La notion de Dark Pearl existant, informulée, dans son travail depuis toujours, la présence de ces deux œuvres doit beaucoup à sa rencontre avec Pilottti et leur incursion passionnante aux origines de la création.

Nadia Agnolet & Guillaume Soulatges
Hans (Vienne, 1990), 2008. Techniques mixtes. 275 x 150 cm

Antoine Aguilar
Volatile (Times Square), 2007/2009. Acrylique, papier. Dimensions variables

Alexandre Barth
Rodney à la Kunsthalle, 2009. Mousse expensive, styrodure, bois. 450 x 300 x 18 cm

Aline Bouvy & John Gillis
Unreleased (shooting), 2002. DVD-animation, aquarelles. 40 s.
Unreleased (Kiss), 2001. DVD-animation, aquarelles. 32 s.

Dae Jin Choi
Hammer Kids, 2009. argile, peinture. 28 x 42 x 21 cm

François Delagnes
Fontaines, peintures actives, 2008. Bois, métal, peinture, moteur. Dimensions variables

Philippe Eydieu
Waiting For, 2009. Photographie, caisson lumineux, système électrique, chenillard. 30 x 40 cm

Marc Geneix
Waiting For, 2008, boucle vidéo
Ghost, 2009. 3 dessins sur papier journal. 32 x 47 cm chacun

l’Internationale Surplace (Marie Rotkopf & Daniel Megerle)
Dark Reality, 2009, lecture/performance, installation, bulletin

Hugues Jouvin
La Peinture est plus forte pour toujours, 2008. Huile sur toile. 80 x 80 cm ; 120 x 80 cm ; 130 x 89 cm

Sébastien Maloberti
Sans titre, 2009. Fusain sur papier millimétré. 50 x 65 cm

Émilie Perotto
La Bûche (de la femme à la bûche), 2009. Topan
Des vessies pour des lanternes, 2009. Topan, contreplaqué, MDF, aggloméré, poingée en métal. 35 x 30 x 20 cm

Nicolas Roggy

Difficult To Smell What Happened Today, 2009. Huile sur toile. 87 x 75 cm; 22 x 33 cm ; 24 x 33 cm; 22 x 33 cm, 24 x 33 cm

Ernesto Sartori

Glugh, 2009, glycéro sur bois, 100 x 80 cm

Bevis Martin & Charlie Youle
Civic-Sculpture, 2009. Techniques mixtes. Dimensions variables

We Are The Painters

Brunes à la perle, 2009. Huile sur toile. 34 x 25 cm