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Cyprien Gaillard

Révélé par le prix Marcel Duchamp 2010, Cyprien Gaillard expose actuellement à l’espace 315 du Centre Pompidou. Son univers ruiniste confronte archéologie et modernité. Il pose cette étrange question: «Comment nous, individus, vivons-nous avec nos ruines?»

Centre Pompidou. Votre travail tisse architecture et nature, souvent «urbaine», à travers des sites rasés ou enfouis, comme dans le film distingué en 2010 par le Prix Marcel Duchamp. Un travail d’archéologue?
Cyprien Gaillard. Je m’intéresse à l’archéologie pour son potentiel sculptural et en tant que pratique, avec l’idée que l’excavation, la découverte d’un site va souvent de pair avec sa destruction: plus on fouille, plus on détruit, et mieux vaudrait parfois tout laisser intact sous la terre. Se pose la question des choix de préservation: pourquoi protéger un site tandis qu’un autre est démoli par les pelleteuses? Tout est archéologie dans une ville, tout est ruine. Une partie de mon travail vise à briser cette hiérarchie en traitant un bunker de la Seconde Guerre mondiale comme un archéologue découvre un temple enfoui sous le sable du désert (Dunepark, La Haye, 2009). Je reviens d’Irak, de Babylone. Je voulais voir à quoi ressemble ce site devenu un camp de l’armée américaine: un site archéologique désormais militaire. En somme, l’inverse du changement opéré avec Dunepark.

Centre Pompidou. Dans cette nature, de champ ou de ville, la ruine semble fixer une réflexion sur la destruction, l’obsolescence programmée par le temps, les hommes?
Cyprien Gaillard. Oui, comme l’obsolescence du Forum des Halles, démoli pour la deuxième fois en 40 ans. Quand la ruine pointe, la croisade pour le renouvellement urbain débute… Et quand celle-ci aboutit, le recyclage de ce qui est détruit commence. Le renouvellement urbain est un paradoxe: tout démolir pour avoir une ville plus verte et calme. Passer la nuit à boire et manger du muesli au petit-déjeuner…

Centre Pompidou. Souvent le dialogue s’installe entre des références à l’art occidental classique et l’anachronisme d’une irruption de l’urbain, du contemporain. Pourquoi ces collisions? Quel est votre rapport à l’histoire de l’art? Au musée?
Cyprien Gaillard. L’anachronisme est mon outil pour combattre la nostalgie. Mieux qu’une collision, je cherche un point d’équilibre, une nouvelle harmonie dans un paysage. Certaines pyramides du sud du Mexique ont été restaurées à coups de béton dans les années 1970: cela scandalise les archéologues tandis que j’y vois un mélange d’architectures maya et brutaliste associées dans une nouvelle harmonie. Comme quand les tours de Sight Hill à Glasgow sont éclairées avant d’être dynamitées durant la nuit et deviennent des «monuments» d’un soir… Parfois aussi la collision est nécessaire pour trouver une nouvelle forme de paix. Je passe mon temps dehors, sur «le terrain». Mon travail découle généralement de cette pratique d’extérieur, sachant que l’oeuvre doit le plus souvent être montrée dans un lieu clos. J’aime cette dialectique extérieur/intérieur: penser le musée, fût-il d’art contemporain, comme un musée d’histoire naturelle, un lieu où l’on montre des fragments du monde extérieur.

Extrait du magazine-programme du Centre Pompidou, Code Couleur, n.11, sept.-déc. 2011.

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