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Corps Étrangers

03 Mai - 23 Juin 2013
Vernissage le 03 Mai 2013

Isabelle Hayeur, photographe québécoise invitée à Strasbourg dans le cadre d’une recherche photographique sur la silhouette urbaine, a élu le quartier des institutions européennes comme sujet de son investigation. En effet, l’Europe qui paraît être un sujet de débat quotidien pour les habitants du vieux continent intrigue encore Outre-Atlantique.

Isabelle Hayeur
Corps Étrangers

La Mission photographique menée par La Chambre s’inscrit dans le contexte de l’«Atelier urbain» qui est conçu pour donner de la voix aux Strasbourgeois sur le devenir de leur ville à moyen et long terme, pour documenter la ville et sa région, enrichir son patrimoine visuel, et apporter un regard contemporain au territoire. Au travers du regard d’un auteur photographe d’une part, et en suscitant la participation du plus grand nombre grâce à des ateliers, des rencontres, des tables rondes d’autre part, elle questionne les problématiques urbaines, paysagères et sociales du territoire de Strasbourg.

A l’occasion de l’exposition de restitution, La Chambre présente les travaux de la photographe Isabelle Hayeur et sa vision de la silhouette de la ville. Après de longues déambulations dans les quartiers du Wacken, de l’Orangerie et de la Robertsau, Isabelle Hayeur émet ses doutes sur l’harmonie d’un système: si l’Union Européenne est pour les Européens le symbole de la paix d’un territoire, de la solidarité entre des Etats et de la liberté de circulations de biens et des personnes, comment les lieux et les bâtiments qui la représentent peuvent-ils posséder une allure si dure et inabordable?

Reflet d’un monde globalisé, le quartier de l’Europe suggère à l’artiste une certaine défiance au sujet de l’architecture du pouvoir. Au cœur du Wacken, les maisonnettes d’ouvriers jouxtent la forteresse de verre clinquant du Parlement; cette Union Européenne est-elle à taille humaine? Plus loin, plusieurs manifestants ont installés leurs tentes face au champ de drapeaux du bâtiment des Droits de l’Homme; que veut l’Europe de ses citoyens? Et que ceux-ci peuvent-ils attendre d’elle?

Marquée par les mouvements d’indignation de l’année passée à travers le monde, l’artiste pointe du doigt les incertitudes sous-jacentes à ces représentations officielles, hiérarchiques et autoritaires. Ses photographies portent un regard sévère sur l’indifférence des systèmes institutionnels à l’égard de la vie des habitants ordinaires. Cette série de photographies, sous le titre de Corps Etranger, semble vouloir provoquer les représentations de l’Europe dans tous ses contrastes. Isabelle Hayeur nous place face à cette question ouverte: quel territoire symbolique revendiquent les Européens?

«Arrivée à Strasbourg depuis peu, je me dirige spontanément vers le Quartier des institutions européennes. Situé au Nord-Ouest de la ville, il couvre le Wacken, l’Orangerie et la Robertsau. Le secteur de la ville que j’arpente est plutôt méconnu et me parait relativement peu fréquenté par ses propres habitants; je n’y croise que quelques promeneurs et joggeurs. Par endroits, en revanche, les cars de touristes y sont assez nombreux. Que vais-je chercher en ce coin plutôt fade de la ville?

Peut-être les mêmes choses qu’à Bruxelles, ville où le Parlement européen siège également –espérant y retrouver ce que j’ai observé et senti quelques années auparavant lors d’un séjour de recherche. À mes yeux, dans ces quartiers officiels, quelque chose nous parle d’une autre Europe; peut-être pas celle dont les citoyens « ordinaires » rêvaient.

La légitimité de l’Union européenne devait reposer sur l’équité et la prospérité pour tous. Aujourd’hui, le citoyen doit faire des sacrifices, racler le fond de ses tiroirs, tandis que les multinationales nagent dans les profits. Des enjeux paysagers, urbains, sociaux se jouent en ces lieux solennels, dont les architectures sans âme paraissent déconnectées de la ville qu’elles habitent. Les lignes froides et rigides de ces grands édifices de verre semblent exprimer la brutalité de leur implantation. Dans ces zones bétonnées, on repère des postes de contrôle, des caméras de surveillance, beaucoup de murs et des grilles closes qui ressemblent à des cellules. Je les photographie. Au Bassin de l’Ill, la ville se réfléchit sur les parois miroitantes de l’édifice du Parlement. Cette silhouette urbaine semble curieusement refléter une autre ville, n’importe laquelle en fait; une ville semblable à toutes les autres, une ville… générique. Est-ce bien Strasbourg, dans ce miroir déformant?

Ici, la personnalité de Strasbourg s’efface pour laisser surgir un espace urbain désincarné. Rue de la Carpe haute, le bâtiment de la DEQM contraste fortement avec les quartiers bucoliques qui l’entourent; l’architecture contemporaine y côtoie de vieilles maisons pittoresques dans un singulier face-à-face. Je les photographie.

Rue du Levant, la Cour Européenne des Droits de l’Homme surplombe de modestes jardinets. Sa présence écrasante et envahissante jure, détonne. Un peu plus loin, boulevard Pierre Pflimlin, je suis déconcertée par sa taille démesurée en regard des faubourgs environnants. Près de l’entrée flottent les couleurs de l’UE. Les drapeaux s’y réverbèrent, comme captifs de la structure de l’édifice. Je les photographie.

Chaque année, cette institution publique est une instance de recours pour des dizaines de milliers de citoyens. Certains d’entre eux campent d’ailleurs juste à côté, dans des abris de fortune. Protestant, attendant, délirant parfois, ils vivent là sous le ciel gris de novembre. Migrants sans papiers, citoyens en colère ou fous, chacun porte son histoire propre, qu’il tente de me confier dans une langue que je ne comprends pas. Leur présence en ces lieux devient pour moi l’expression générale d’un désenchantement, d’une indignation. Leur histoire commune est celle des déshérités de l’Europe, des laissés-pour-compte de cette économie globale que l’on nous fait miroiter comme miroitent les drapeaux dans les vitres. Dernière journée à Strasbourg. Les reflets du soleil sur les parois vitrées de l’Agora me renvoient un jour inversé qui ressemble à la nuit. Je le photographie.»
Isabelle Hayeur, Corps étranger, Texte d’intention, 2012

Isabelle Hayeur est une artiste de l’image, née à Montréal en 1969. Elle détient un baccalauréat (1997) et une maîtrise (2002) en arts plastiques de l’Université du Québec à Montréal. Elle est connue pour ses montages photographiques grands formats, ses vidéos et ses installations in situ. Les œuvres de l’artiste critiquent les récents bouleversements urbanistiques et environnementaux, en montrant des territoires qui paraissent «naturels», mais qui sont créés de toutes pièces. Son art s’avère à la fois politique et poétique, avec un constant souci de brouiller les pistes afin de mettre en relief l’ambivalence de notre rapport au monde.

Elle a participé à plusieurs présentations publiques importantes un peu partout dans le monde et ses œuvres se trouvent dans une vingtaine de collections, dont celles du Musée des beaux-arts du Canada, du Fonds national d’art contemporain à Paris, de la Art Gallery of Ontario, de la Vancouver Art Gallery, de la Art Gallery of Hamilton, du Musée d’art contemporain de Montréal, du Musée national des beaux-arts du Québec, de Oakville Galleries et du Museum of Contemporary Photography de Chicago.

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