ART | EXPO

Yo Mama

22 Oct - 28 Nov 2015
Vernissage le 28 Oct 2015

Hassan Musa n’a pas oublié la grandeur des petites mains, la modestie du labeur artisanal que suppose tout bricolage. A travers ce bricolage-là, c’est notre monde contemporain que Hassan Musa passe régulièrement au crible, avec des techniques très anciennes.

Hassan Musa
Yo mama

Ernst Bloch aurait été heureux de rencontrer Hassan Musa. Lui qui, dans L’esprit de l’utopie, se navrait de constater, déjà, l’impuissance dans laquelle s’enfonçait la société humaine. La main d’Hassan Musa n’a pas cessé de bricoler. L’esprit d’Hassan Musa n’a pas oublié le jeu. Mais pour jouer, il faut avoir cette distance ironique qui permet de rire de tout, mais avec n’importe qui. Il faut regarder le monde avec les yeux d’un fou ou d’un enfant, parce que «la vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s’agite durant s on heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien.» (Macbeth acte V scène V)

Macbeth n’est pas fou bien sûr. Et les histoires qu’il raconte, contrairement à celles des marchands de vérité qui polluent nos esprits, sont des histoires sérieuses. Mais plutôt que de les faire passer pour des axiomes, il en fait des contes. Parce que le fou est un être humble qui n’entend rien imposer à personne. Hassan Musa n’a pas oublié la grandeur des petites mains, la modestie du labeur artisanal que suppose tout bricolage. Et à travers ce bricolage-là, c’est notre monde contemporain que Musa passe régulièrement au crible, avec des techniques très anciennes.

J’aime, et cela me fait sourire, à le mettre sous la garde tutélaire de trois femmes. Trois femmes qui, comme les histoires qu’il nous révèle, sont vraies, parce que quelqu’un les a créées. Hassan Musa serait donc une Pénélope qui tisserait des milles et une nuit de tous les temps et de toutes les géographies, avec du fil d’Ariane.

Les trois mythes rassemblés donnent une résonnance particulière à ce travail; Shéhérazade, Pénélope et Ariane, travaillaient contre le temps. Ou du moins, tentaient-elles, avec chacune les armes en sa possession, de l’altérer. De fabriquer une hétérochronie dont dépendaient leurs vies. Ce même temps est à l’œuvre dans le travail de Hassan Musa et les événements ou les personnages qu’il croque, fussent-ils Obama ou Poutine, se transforment par son regard, en personnages d’une fiction contemporaine à laquelle est soumise notre humanité.

Il est un autre fou auquel me renvoie ce travail qui, au-delà de sa plastique, est une réflexion ontologique sur notre devenir: Moha. Et comme le personnage de Tahar Ben Jelloun, Hassan Musa pourrait dire: «Je suis nu devant les hommes et devant l’époque, face à la mer, face au feu qui vous menace, moi le sage, l’homme perdu, l’homme possédé par les djinns (mais qu’on n’ose pas enfermer parce que j’ai des liens secrets avec tous les magiciens de l’Inde et des pays enfouis sous les terres), moi, j’ai honte et je ne sais quoi faire de plus que de me déshabiller dans cette banque et vous montrer la gale sur ma peau, cette gale c’est la honte que j’ai de vous et j’ai peur, peur pas pour ma petite vie qui a dormi un siècle et s’est réveillé à temps, mais j’ai peur de vous voir pendus à l’aube de tous les massacres, vous vous pendrez les uns les autres car vous ne saurez pas d’où vient le vent de la démence qui vous emportera comme un rire les nuits d’hiver…» (Tahar Ben Jelloun, Moha le fou, Moha le sage, Seuil, Paris, 1980).

Simon Njami

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