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Yellow River

Sous la grande verrière, bâchée pour l’occasion, de la galerie Bugada et Cargnel, la sculpture Yellow River de Wilfrid Almendra se compose de trente six blocs en béton armé coffré, de formes et de dimensions plus ou moins semblables. Trente quatre sont recouverts de plaques en inox poli miroir, et l’ensemble est éclairé par des spots au sodium, disposés en surplomb aux quatre coins de la salle d’exposition.

La reproduction en bois d’une main ouverte, ancrée dans la sculpture même, surmonte cette masse carrée et compacte, tout en y apportant du contraste. Cet étrange totem à l’aspect archaïque, qui semble dire «stop», détone en effet complètement à l’intérieur de ce labyrinthe bétonné et sans âme.

Ce labyrinthe brillant et «pressé» sur lui-même représente en fait le plan de Masdar City, une ville écologique modèle en cours de construction dans le désert d’Abou Dabi, aux Emirats Arabes unis.
La lumière jaune qui éclaire Yellow River évoque donc le soleil écrasant du désert, mais aussi les spots de chantier de construction de la ville, allumés nuit et jour afin d’assurer le travail continu des ouvriers.
Les plaques en inox poli miroir évoquent pour leur part les futurs toits couverts de panneaux photovoltaïques destinés à assurer l’autonomie énergétique de la ville, mais aussi les façades des immeubles en verre-miroir qui sortiront bientôt de terre, grâce à l’argent du pétrole.

Quant à la main ouverte, elle est le symbole de Chandigarh, ville indienne utopique réalisée à partir de 1951 par Le Corbusier. En matérialisant le dessin architectural de Masdar City, et en y intégrant le symbole de Chandigarh — symbole de mémoire, de don et d’échange entre les hommes — Wilfrid Almendra semble finalement vouloir défier les apparences, et rappeler l’histoire désenchantée des villes utopistes.

L’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions? Entre la conception d’un habitat collectif et sa réalisation concrète, entre les idées qui pullulent dans la tête des architectes et les enjeux politico-économiques auxquels ils doivent se plier, est-il véritablement possible de fonder une ville où vivre ensemble, dans le respect des hommes et de la nature, deviendrait en quelque sorte «naturel» et enviable?

En s’intéressant à ce qu’est devenue Chandigarh, ville touristique fortement éloignée de ses idéaux de départ, et en se penchant sur les points les moins reluisants du projet Masdar City (ville recluse entourée de hauts murs et réservée seulement à une élite argentée), difficile de ne pas adopter le regard pessimiste de Wilfrid Almendra sur les villes du futur.

En ce début du XXIe siècle, les utopies collectives des grands ensembles ont fait place au rêve de devenir propriétaire, de posséder son pavillon individuel situé en périphérie des villes, sans voisins à qui rendre des comptes, mais avec un crédit à rembourser…

Les dix sculptures murales de la série Basement, qui entourent Yellow River, font écho à ce nouveau désir pavillonnaire, qui assume pleinement son refus de la vie en communauté et son besoin de repli sur soi. En insérant sur des morceaux bruts de macadam des moulages en béton, Wilfrid Almendra reproduit à petite échelle les plans de ces maisons individuelles et standardisées.
Beauté abstraite mais aussi vision sombre, quasi apocalyptique, de cet habitat moderne. Comme si un météorite avait percuté la Terre, ou un ouragan avait rasé tous ces logements, et qu’il ne restait plus que leur empreinte, leur structure, presque similaire.

Que disent ces maisons des gens qui les occupent? Rien, et c’est peut-être cela le drame de l’uniformisation.

Å’uvres
— Wilfrid Almendra, Yellow River, 2011. Béton coffré, inox poli miroir et bois. 500 x 500 x 30 cm
— Wilfrid Almendra, Basement, 2010. Macadam et béton. 10 structures. 70 x 90 cm chacune