ART | CRITIQUE

Working title WM I+II

PPaul Brannac
@09 Nov 2010

C’est une très courte séquence, presque un fragment, que la galerie Kamel Mennour projette du travail de la vidéaste Sigalit Landau, presque la synecdoque d’une œuvre plus vaste, Dead Sea, mais une synecdoque éloquente, un fragment de monde qui se suffit, et suggère le monde.

Sur deux écrans plats installés verticalement, deux extraits de film qui pourraient être les plans de coupe d’un documentaire silencieux: une rangée d’hommes traverse un champ de futaies desquelles ils dénichent et alignent des pastèques; en sens inverse, les mêmes hommes, à la chaîne, se repassent les fruits jusqu’à la remorque d’un tracteur.

Le relief paraît escarpé, mais la caméra, suspendue très haut à la verticale, écrase la perspective. La vue ainsi cadrée ne dit rien du lieu de la récolte, rien des saisonniers qui y travaillent avec une rapidité surprenante et une maîtrise certaine; entre leurs mains, les fragiles pastèques semblent légères et passent précautionneusement des unes aux autres.

Très lentement, les mouvements des deux travellings horizontaux s’opposent, suscitant un effet de ressac, une imperceptible sensation de vertige, à la perpendiculaire des enchaînements humains. De ces va-et-vient enveloppés par le bruit du vent, Sigalit Landau parvient à extraire un moment de grâce, une impression d’apesanteur alors même que c’est la terre que ces hommes fourragent, elle seule qui les environne, et sur laquelle pourtant ils donnent l’illusion de flotter et de faire voler leurs fruits.

Ces cueilleurs, indique Sigalit Landau, viennent tous du village arabe israélien de Manda, car, en Israël, sans que personne ne sache exactement pourquoi, la tradition veut que tous les cueilleurs de pastèques, sans exception, soient originaires de Manda.
Sans rien modifier à la nature de leur tâche, sans rien retrancher au labeur de ces hommes, Sigalit Landau les abstrait temporairement du monde, nous fait littéralement plonger sur eux, non pas à la manière d’un entomologiste, mais comme un homme se pencherait lointainement sur des hommes, et saisirait — par cette distance même — qu’ils sont ses proches.
Il n’y a guère aujourd’hui que la vidéaste et photographe Michal Rovner, compatriote de Sigalit Landau, pour être parvenue, par le biais similaire d’une intime distance, à ce degré de proximité humaine.

— Sigalit Landau, Working title WM I+II, 2010. Diptyque. Vidéos

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