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Woodcuts 2011

Parallèlement à une abondante production de sculptures, l’allemand Thomas Schütte mène depuis quelques décennies un important travail de dessins et gravures. L’exposition «Woodcuts», à la galerie Nelson-Freeman, se focalise sur cette partie moins connue de son oeuvre.
Au rez-de-chaussé les murs s’habillent de neuf gravures sur bois aux couleurs flamboyantes. En guise d’accueil, Entrance, l’image d’un porche cubique incite à une ré-introduction. Après l’entrée physique dans la galerie, le visiteur est donc invité à entrer visuellement dans l’oeuvre c’est à dire à en faire prendre la mesure. Les formats monumentaux (252,5 x 161,5 cm) aident concrètement, positionnant l’humain, ici le regardant, au coeur des architectures représentées. En effet la série rend compte de design d’espace. Plus précisément elle est la troisième version d’un ensemble d’aquarelles datant de 1984 Die Burg (La forteresse). Les planches abordent ainsi l’aménagement, l’architecture et les maquettes, thèmes chers à l’artiste.

Voilà de la gravure en relief ! Des couleurs éclatantes couvrant des zones séparées par un fin liseré blanc de papier pur ressemblent à des illustrations littéraires. Les rouge sont brûlants, les oranges dynamiques, le vert cru, le bleu hypnotique et les gris teintés variés font chanter ces couleurs. Les motifs trônent généralement au centre de l’image. Aucun doute possible quant au choix du modèle, sublimé par la composition dépouillée.
En plus de l’entrée massive de la forteresse il y a ici un mur d’angle, là une terrasse et son drapeau mais aussi une cheminée, une table et des bancs, des escaliers, des fenêtres et une porte. Les titres répondent encore au credo «simplicité rime avec efficacité» puisque seul reste le nom de l’objet dessiné, Brick Wall, Flag, Chimney, etc.

La technique de gravure est très particulière et créative. Pour poétiser le procédé xylographique, Thomas Schütte utilise le veinage naturel de différentes essences de bois comme motifs des multiples zones graphiques. C’est reprendre à son compte la technique de la marqueterie, le retourner et la ré-inventer en jouant la synecdoque: la partie pour le tout, le patchwork pour la matrice, l’empreinte pour la forme.
Chaque veinage définit simplement une forme précise pour un effet plastique percutant. La peau des matériaux est exhibée, comme s’il cherchait à en révéler la face cachée ou à mettre à nu la structure. De même, les couleurs sont franches, pures et parcourues des lignes blanches sinueuses du bois.

Thomas Schütte exalte l’illusionnisme propre au dessin en intensifiant l’effet de profondeur. On pense aux peintures Renaissante, à Alberti inventant la perspective mais aussi à Pascal «Qu’est-ce que le moi? Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants». Métaphoriquement les mondes intérieurs symbolisent l’intime. Thomas Schütte voit-il en la forteresse l’image d’un en-soi?

L’exposition continue à l’étage avec l’ensemble Frauen-série C : 18 planches de gravures sur métal reprenant 18 anciens bronzes de l’artiste. Le nu féminin inspire toujours et Thomas Schütte n’hésitera pas, pour cet ensemble de sculptures, à décliner le travail d’autres créateurs, depuis les Vénus des grottes préhistoriques jusqu’aux femmes-couteau de Louise Bourgeois.
Le tout donne un inventaire de corps étranges parfois magnifiés mais le plus souvent monstrueux, déformés, abîmés, elephant-man, des corps tranchants où les maux de l’âme, maladies intérieurs psychologiques, s’extériorisent. Le corps comme révélateur d’un inconscient. Dans la série de gravures, chaque image émerge d’une couleur vive unique et d’un mélange de traits nerveux.

Les Å“uvres sur papier de Thomas Schütte sont avant tout une simplification subjective de leurs modèles. Les intérieurs sont montrés comme un intime dépourvu du manteau-mensonge de l’apparence, tandis que les extérieurs, les corps poreux dévoilent quelques meurtrissures de l’âme. L’artiste convoque à regarder les choses au-delà des masques, pour les voir juste véritablement.

Å’uvres
— Thomas Schütte, Door, 2011. Gravure sur bois. 252,5 x 161,5 cm
— Thomas Schütte, Single Window, 2011. Gravure sur bois. 252,5 x 161,5 cm
— Thomas Schütte, Table, 2011. Gravure sur bois. 252,5 x 161,5 cm
— Thomas Schütte, Chimney, 2011. Gravure sur bois. 252,5 x 161,5 cm