ART | CRITIQUE

Wim Delvoye

PPierre-Évariste Douaire
@12 Mar 2007

C’est de l’art ou du cochon? Wim Delvoye en artiste orwellien répond en transformant la galerie en ferme des animaux. Circé des temps modernes il transforme l’art en cochonnaille. Hiératiques et religieux, ses détournements sont des transsubstantiation mordantes. En bon pasteur Wim Delvoye fait paître son troupeau de cochons tatoués et empaillés à l’ombre d’une maquette de chapelle, futur chantier de son excentricité.

Le plus médiatique et le plus controversé des artistes belges expose à Paris. Wim Delvoye revient après une longue absence avec des pièces à la hauteur de sa démesure. Pas moins de cinq cochons, tatoués et empaillés, attendent le visiteur à l’ombre d’une chapelle en inox remplissant la plus grande salle de la galerie. Des vidéos et des dessins encadrent ces deux temps forts de l’exposition.

Si l’oeuvre de Delvoye est bien connue, grâce notamment à un gros effort d’éditions, si elle est l’une des rares à être relayée par la presse généraliste, grâce aux scandales qui l’entoure — comme sa fameuse machine à merde, Cloaca, ou dernièrement sa ferme à cochons —, elle reste néanmoins peu visible. Cette exposition est l’occasion de se confronter directement aux œuvres dont on a tant entendu parler sans jamais les voir vues.

La maquette en inox se dresse comme un énorme mécano. Elle est déjà impressionnante, mais sa réalisation future, près d’Anvers, atteindra près de 26 mètres de haut!
Le commanditaire, déjà propriétaire des vitraux, n’avait besoin que d’une église pour pouvoir en profiter. La pièce présentée est une ébauche de la construction livrable à la fin de l’année.

Gothique, ornée d’une flèche géante et de gargouilles, le style rappelle le temps des cathédrales à quelques détails près. Les vitraux, fidèles répliques miniatures des originaux, sont scatologiques et pornographiques à souhait, même s’ils conservent l’esprit des farandoles et des danses macabres.
La deuxième entorse se trouve sur le fronton. Les motifs du bagagiste Louis Vuitton s’invitent à la fête, même si l’artiste s’en défend. La luxueuse maison colonise l’entrée de son célèbre monogramme. Mais pour l’artiste, il n’en est rien, les lettres enchevêtrées, H et V, sont celles du commanditaire, quant aux ornementations, elles sont strictement gothiques.

Mais entre concept store et maison de poupée, Wim Delvoye pousse sa construction vers la destruction. Un acier fortement oxydable remplacera l’inox brillant de la maquette. La rouille, élément de dégradation, viendra patiner la surface du bâtiment. Son revêtement portera les stigmates du temps et assumera sa confrontation avec l’environnement champêtre.

Pour l’heure la maquette brille comme un sous neuf. Une lumière tamisée projette son ombre sur les murs. Elle dessine la silhouette du château de Fantasia tiré du dessin animé de Walt Disney. L’artiste a repris à son compte la fameuse signature du maître du cartoon, en jouant sur les initiales Wim Delvoye/Walt Disney. L’ombre projetée de la chapelle rappelle le logo de Disney World imprimé sur le dos du carton d’invitation.

En artiste orwellien, Delvoye transforme la galerie en ferme des animaux. Il nous a habitué à opérer par pied de nez. Aujourd’hui il endosse des gros sabots en pied de porc qui lui permettent de labourer ses thèmes favoris: détournement, excentricité, profane et sacré, humour, pollution, spéculation. La galerie est habituée aux animaux, l’année dernière pour le vernissage de Paola Pivi elle s’était transformée en zoo.

L’artiste est taxidermiste, tatoueur, mais aussi chef d’entreprise. Il a décidé d’expatrier sa production de cochons tatoués en Chine. Surfant sur l’actualité et sur la peur des délocalisations, il parvient encore à faire sensation en visant juste. Il nous rappeler que l’art est aussi un objet qui s’affranchit des barrières douanières.

En tatouant des marcassins et en attendant qu’ils grandissent, il spécule sur son propre travail en «récoltant» des œuvres plus grandes. Il pourra les vendre plus chères. Chez lui, le détournement, la transformation se soldent par une fragilité accrue. Il se plaît à montrer les processus artistiques de gestation, création, diffusion, commercialisation, spéculation.
Il rend visibles les flux artistiques comme le démontre une nouvelle fois cette exposition. Il montre les tenants et les aboutissants de l’art. De l’assiette à l’étron, Cloaca montrait tous les stades de la digestion, mais ce que nous donne Delvoye est moins une matière fécale qu’une matière à réflexion.

Wim Delvoye
— Rex 2006. Stuffed tattooed pig. 70 x 113 x 70 cm.
— Cinderella, 2006.
— Arielle, 2006.
— Sebastien, 2006. Tattooed Pig Skin.
— Three Living Tattooed Pigs In The Farm, 2006.
— Wim Delvoye Tattooing a Pig, 2006.

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