ART | CRITIQUE

Walking to Paris

PCéline Piettre
@04 Juin 2010

De retour à Paris après 15 ans d’absence, ce grand marcheur artistique qu’est Hamish Fulton confie ses œuvres − photographies, peintures murales, cartes − à Patricia Dorfmann. Une exposition minimale qui ouvre à une expérience intense de la nature.

Du Land Art, auquel on l’assimile trop rapidement, Hamish Fulton retient cette immersion dans la nature, cœur véritable du processus artistique. Mais à la différence de Richard Long, par exemple, l’artiste britannique n’intervient en aucun cas dans les espaces qu’il foule au cours de ses marches à travers le monde. Il n’en ramène pas, non plus, de souvenirs matériels, pierres ou morceau quelconque de paysage.

Pour lui, seule la marche fait œuvre. Seule l’expérience fait art, et «un objet ne peut rivaliser avec une expérience». De ce fait, l’exposition est forcément déceptive: trace, archive, simple évocation d’un vécu purement subjectif et individuel.

Cette conception propre à Hamish Fulton est nécessaire pour appréhender au mieux la forme de ses œuvres — et peut-être également la rareté de ses apparitions dans les galeries et les musées.

Le panel qui nous est offert ici, sur l’initiative de Romain Torri, a le mérite d’être aussi large que représentatif. Minimal, stylisé à l’extrême — comme ces coupes de montagnes dessinées au moyen de minuscules bâtonnets bleus et accrochées au mur par quelques clous: Three Small Mountains et Mont Blanc —, son travail résiste à toute tentative de reconstitution.

Ses photographies, souvent associées à du texte, prolongées par une marge importante, ne documentent pas le voyage (le réel, l’expérience) mais le condensent. Le processus créatif qui suit la marche s’apparente donc davantage à une démarche d’indexation que de témoignage. D’où cette proximité avec un certain art conceptuel.

Outre la présence de l’une de ses œuvres emblématiques, Roman Road, nous avons le plaisir de découvrir dans l’exposition Mountain Skylines et Twilignt Horizons, de petites cartes postales fabriquées au retour d’une ascension, plus intimes qu’à l’ordinaire, et où l’usage de la gouache rappelle la confidentialité désuète des carnets de voyage.

L’imposante peinture murale sur fond jaune, Ri, éclaire également l’œuvre d’Hamish Fulton d’une dimension politique nouvelle, l’inscription Google, à côté des indications habituelles sur le lieu et les conditions de la marche, faisant référence à une censure d’internet imposée à l’époque par la Chine et sa domination arbitraire sur le Tibet.

Mais qu’en est-il pour l’artiste de ces milliers de kilomètres parcourus à pied, depuis 40 ans? Dans le texte Into a Walk into Nature, il insiste sur le potentiel de transformation de la marche et l’implication physique du marcheur «qui optimise la perception» et «la réceptivité au paysage».

Selon Hamish Fulton donc, cette exploration par le corps, contemplative, non interventionniste, lui permettrait une relation directe avec la nature, dans une vraie extériorité, et non séparé d’elle par une multitude d’intérieurs comme dans la vie courante.

Une démarche plus volontiers philosophique qu’écologique, voire (osons le dire!) spirituelle. Ce que nous laisse penser le choix de plus en plus fréquent de l’artiste pour la marche en montagne, celle que Nietzche considérait comme la meilleure source d’accomplissement et d’élévation de la pensée.

— Hamish Fulton, 6 walks map, 2004. Giclée print. Edition 50 exemplaires; 51 x 60 cm
— Hamish Fulton, Three small mountains, 2008. Bois peint, clous et crayon. 11,5 x 25 cm
— Hamish Fulton, Mont Blanc, 2009. Bois peint, clous et crayon. 13 x 20 cm
— Hamish Fulton, A view from the highest point in North America, 2004. Giclée print, signé. Edition 50 exemplaires. 60 x 47,5 cm
— Hamish Fulton, Symmetrical insect, 1998. Peinture murale. Dimensions variables (290 x 190 cm)
— Hamish Fulton, Kailash Kora, 2007. Gouache et encre sur papier encadré, signé. 35,5 x 42,5 cm
— Hamish Fulton, Monte bianco, 2009. Giclée print. Edition 25 exemplaires. 38,5 x 47 cm
— Hamish Fulton, Mountain Skylines, 1993. Gouache et encre sur papier encadré, signé. 37,5 x 44,5 cm
— Hamish Fulton, Twilignt horizons, 1993. Gouache et encre sur papier encadré, signé. 34 x 46 cm
— Hamish Fulton, Fuji 1988, 1988; Encre sur papier japonais encadré, signé; 26,5 x 21,5 cm
— Hamish Fulton, Lhasa tearing, 2007. Crayon et encre sur papier encadré, signé, 24 x 24 cm
— Hamish Fulton, Ri, 2009. Peinture murale. Dimensions variables (240 x 375 cm)
— Hamish Fulton, Roman Road, 2007. Photographie N&B et texte encadrée; 119 x 141 cm
— Hamish Fulton, Cho Oyu, 2000. Giclée print, signé. Edition 50 exemplaires. 47 x 59 cm
— Hamish Fulton, Chomolungma, 2009. Giclée print, signé. Edition 50 exemplaires. 54,5 x 60 cm
— Hamish Fulton, Khumbu, 2009. Giclée print, signé. Edition 50 exemplaires. 32,5 x 111 cm
— Hamish Fulton, Walking to Paris, 2002. Giclée print. Edition 50 exemplaires. 24 x 32,5 cm
— Hamish Fulton, The names of seven men, 2009. Crayon sur papier encadré, signé, 27 x 27 cm
— Hamish Fulton, A 2838 km walking journey, 2002. Crayon et timbres sur papier quadrillé encadré, signé. 33,5 x 41,5 cm

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